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DANIEL CORDIER – L’HOMME QUI MARCHE

Quel est le point commun entre Jean Moulin et Hervé Villard ? Daniel Cordier.

L’homme qui vient de mourir avait 100 ans. Pas mal pour celui qui refusa l’armistice du Maréchal Pétain.  » La France ce jour là s’est désintégrée dans la honte « … Par un tour de passe-passe, lui qui voulait partir combattre en Afrique du Nord, continuer le combat, se retrouva dans le dernier bateau qui partait pour l’Angleterre.

L’un des premiers à Londres autour du général De Gaulle, dans La France libre, se fait soldat et n’attend qu’une chose, revenir en France pour « tuer du boche« . Et il n’en tuera aucun. Le destin s’en chargera autrement. Il sera parachuté le 26 juillet 1942. Sa mission le mène à Lyon. Là il rencontre son contact, un homme qui lui propose de le retrouver le soir même dans un petit bouchon, Le Garet.

C’est dans ce lieu que va se jouer l’incroyable destinée de Daniel Cordier. Avec cet homme qui lui pose des questions et s’intéresse à sa courte existence (il n’a que 22 ans) et pourrait presque être son père. L’homme l’écoute. Et c’est dans cette écoute que va se lier l’une des plus belles histoires d’amitié et de fidélité.

Daniel Cordier devient son secrétaire, il est son « téléphone portable » à une époque ou cela n’existait pas. Au départ celui-ci est mécontent de cette proposition, il s’en ouvre d’ailleurs auprès de Londres, il ne veut pas faire de paperasse, mais il obéit aux ordres.

Il ne connait rien de cet homme. Qui était-il avant l’armistice ? Il sait seulement qu’il représentait le général De Gaulle en France. Il ne le connaissait que par rapport à ses différents pseudonymes : Max, Rex.….

Il entre alors de plein pied dans une résistance administrative, peu exaltante, pour celui qui voulait faire dérailler les trains…Tout est à créer. Trouver des camarades de lutte et de confiance pour l’accompagner dans cette aventure de fin du monde. Relayer les informations, distribuer l’argent pour la survie des réseaux, mettre en place des parachutages, planquer des aviateurs de passage…L’une des missions, primordiale de « son patron » est de regrouper et d’unifier tous les réseaux de résistance, pour créer une véritable coalition afin de rendre crédible la légitimité de De Gaulle aux yeux des Anglais.

Il accompagnera l’homme à la première réunion du Conseil National de la Résistance le 27 mai 1943. Il sera à son service pendant 11 mois. Et puis comme beaucoup d’autres cet homme sera arrêté. Mais la lutte continuait, la vie continuait…

A la Libération, il l’attendra. Il attendra jusqu’au dernier train venant de l’est le retour de cet homme, qui en quelques mois, lui avait transmis son goût pour la culture. Quand ils pensaient être sur écoute et pour donner le change, l’homme lui parlait d’artistes, l’initiait à l’art contemporain puisque le métier (la couverture) de cet homme était galeriste. Il était devenu comme un père pour lui, lui qu’il surnommait Le patron… « J’ai attendu jusqu’au dernier convoi, je ne sais pas on aurait pu l’oublier, au bout d’un moment bien évidemment c’était un peu n’importe quoi, mais vous savez quand on aime les gens, c’est toujours n’importe quoi… Et puis il a bien fallu se rendre à l’évidence… ». L’homme, Jean Moulin, avait bel et bien été assassiné par Klaus Barbie sans avoir parlé.

A la Libération il ne veut pas jouer aux anciens combattants, tourne la page et ne parle plus de tout cela pendant 30 ans.

Daniel Cordier et le peintre Jean Dubuffet en 1958 lors d’une exposition à Francfort (©Richard Koll/picture alliance / dpa/Newscom/MaxPPP)

Il fera ce que Jean Moulin aurait certainement fait. Ouvrir une galerie, plusieurs galeries. C’est d’ailleurs dans l’une d’elles que se passera une autre forme de transmission. Après avoir croisé un jeune homme démuni dans la rue et lui ayant offert la moitié de son sandwich, Daniel Cordier lui proposera de venir le lendemain pour un vernissage. Ce qu’il fera. Il lui demandera ce qu’il faisait. « Je me suis échappé de l’orphelinat« . Ému par ce jeune homme, il lui dit « Retournez-y , je viendrais vous chercher« . Daniel Cordier tiendra promesse. Le jeune homme rencontrera souvent André Malraux dans l’appartement de son père adoptif. Le jeune homme, quelque temps plus tard, sera à jamais lié à une ritournelle dans la mémoire collective avec un titre : « Capri c’est fini« . Ce jeune homme c’est Hervé Vilard.

La vie d’après-guerre avançait cahin-caha, loin des mémoires de la guerre. Et puis un jour alors que Daniel Cordier est invité sur un plateau télévisé, Henri Frenay, fondateur du réseau Combat, calomnie Jean Moulin. En rentrant chez lui, abattu de n’avoir pas pu défendre correctement la mémoire « du patron », il cesse ses activés de galeriste pour ne se consacrer qu’à une seule chose : restituer la vérité. Cela occupera trente ans de sa vie. Il se fera alors historien, lui le témoin aux premières loges, puisqu’il partageait au quotidien l’existence du représentant du général De Gaulle en France. Il dynamitera ou mettra à jour l’intérieur de la Résistance. Son quotidien, ses luttes intestines qui sévissaient entre les réseaux pour avoir le pouvoir qui précipiteront l’arrestation de Jean Moulin.

En trente ans, après avoir épuisé toutes les archives, sa deuxième mission à l’égard de Jean Moulin s’achève. Une somme gigantesque de documents retrouvés sur la Résistance et la crédibilité indiscutable du « patron ».

Il publiera différents ouvrages dont sa propre biographie Alias Caracalla.

« Ceux qui survivent ne sont jamais quittes à l’égard de ceux qui sont morts. Jamais. Nous avons vécus des dividendes de la mort de nos camarades, de leurs sacrifices, c’est évident. Ma liberté je l’ai échangée contre leurs morts. si j’étais digne d’eux, ce serait un poids très lourd. Mais vous savez, c’est ça la trahison du passé, c’est qu’on redevient léger, une fois qu’on est libre. »

Libre, mais la mémoire vive, Daniel Cordier, l’homme qui marche même dans la mort.

SZAMANKA