Musique

JEAN-LOUIS BERGERE – LA GRÂCE

« Ces tendresses et ces massacres de l’Apocalypse, voilà qui m’apparut comme une démonstration que la peinture peut, et sans doute doit, plonger jusqu’au cou dans les passions, espoirs, misères et anticipation des hommes« . Jean Lurçat

C’est en terre Angevine, entre deux confinements, en terrasse, sous un ciel d’octobre que nous rencontrons Jean-Louis Bergère. C’est d’abord son visage sur la pochette, qu’a su saisir le délicat photographe Jérôme Sevrette qui nous a intrigué, puis les mots qui l’accompagnent : Ce qui demeure.

Il nous faut d’abord, pour s’immerger dans le dernier opus de Jean-Louis Bergère, plonger dans l’oeuvre d’un autre artiste. C’est en découvrant la Tapisserie de l’Apocalypse au château d’Angers que Jean Lurçat créera sa propre tapisserie « Le chant du monde« . Le monde vit sur un volcan. Eruption, érosion, lave cuivrée et rousse, ce tout s’écoule et s’insinue dans nos vies, nous recouvre l’âme.

Expressions, sensations, formes. Il y a en Jean-Louis Bergère tout un monde.

Ses parents sont originaires de Mayenne. Famille catholique. Il fera partie de la chorale, soprano. Scout. Ecole de musique, solfège. Instrument : la trompette par défaut. Vers 16 ans la révolution gronde avec ses cousins à travers la musique. Emulation. Première guitare et puis l’envie de chanter et d’écrire ses propres textes. Il écoute les Stones, Pink Floyd, Neil Young. Beaucoup de rock progressif : Genesis, Alan Person Project, Peter Gabriel. trouve que les Sex Pistols vont trop loin.

Il passe aussi beaucoup de temps chez deux disquaires, et tel un yoyo se faisait jeter de l’un à écouter au casque pendant des heures pour aller dans l’autre et ainsi de suite.

Pour les mots c’est Arthur Rimbaud qui va dynamiter l’adolescent. « Je ne comprenais pas tout. Il y avait une coloration. Ça ne parlait qu’à moi ».

Il va alors depuis beaucoup écrire. S’il s’est mis à écrire c’est par défi, être face aux « grands auteurs« . Ecrire la même chose mais sur un autre sujet et se confronter à la langue. Quand il a quitté ses parents il a tout détruit. Quelques carnets, par hasard, ont échappé à son geste…

Cela ne va pas l’empêcher de renaître, de continuer à écrire de la poésie et de participer à la création de la Maison de la poésie à Angers.

Il publiera ensuite dans de petites maisons d’éditions spécialisées en poésie.

Il se souviendra aussi de lire un auteur qui avait fasciné Philippe Pascal, l’immense et discret Charles Juliet, son journal, dans l’abbaye du Mont Saint Michel.

Mais en 1998, il a 37 ans, on lui découvre un cancer, et il bascule. Lui qui écrivait des textes hermétiques, longs, complaisants avec la morbidité, lui tellement pétrifié se tourne alors vers la lumière : « J’ai su que j’aimais la vie, j’ai fait le choix de la vie. »

En 2001. Premier disque. Une définition du temps. Faire un album a toujours été pour lui plus important que la scène. D’ailleurs pendant longtemps « Cela a été douloureux, je ne trouvais pas ma place. Je voulais être ce que je suis, comme à la maison…  » Il chante en français : « chanter en anglais ne m’a jamais traversé l’esprit. »

Au sujet de son dernier album Ce qui demeure il dit : « C’est un album à deux voix. J’ai laissé la faveur d’une deuxième voix, celle de ma compagne Evelyne Chauveau, accompagner la mienne et par enchantement cela a donné une troisième voix… ». Cet album est aussi un voyage à travers les Cévennes, Berlin, un café à Vienne, Montréal et à la mémoire d’un certain Leonard dans « L’homme qui chante« .

C’est l’album de la grâce. Avec ses musiciens : Evelyne Chauveau, Blaise Desol, Hervé Moquet, Franck Durand, Jean Baptiste Noujaim, ils réussissent l’éclaircie, la grâce. Le tout mixé et masterisé par le génial Gilles Martin.Il y a quelque chose de sacré qui tient debout, devant nous, un lieu, pour y déposer nos sentiments, ce qui reste de follement oublié, cette délicatesse, qui recouvre nos vies : « on est au coeur d’une sensation inouïe« . Ce morceau inespéré « Inouïe » est un monument, une étoile dans une nuit très obscure. C’est une réussite absolue comme le sont les morceaux « Hypernuit » de Bertrand Belin, » Ouverture » de Etienne Daho ou « La nuit je mens » de Alain Bashung . Nous sommes donc à jamais reconnaissants envers Jean-Louis Bergère dans cette époque barbare où la grâce n’est plus vraiment la norme. Un point de lumière, dans la voûte délicate de notre humanité.

Dernier concert en 2020 à Toulouse (la cave poésie) en présence de sa compagne Evelyne
et Bertrand Betsch venu en spectateur.

Le critique François Gorin de Télérama, ne s’y est pas trompé et a encensé cet album, ce qui a énormément touché Jean-Louis Bergère. Il aimerait que quelque chose reste après lui, une pièce d’orfèvre, pour témoigner de la beauté du monde et de ses gouffres.

SZAMANKA