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Laëtitia ou la fin des hommes

A la faveur de la sortie récente sur France 2 de la mini-série « Laëtitia » de Jean-Xavier de Lestrade ( documentariste et auteur entre autres du remarquable documentaire Un coupable idéal ), retour sur le livre dont est issue la série : Laëtitia ou la fin des hommes d’Yvan Jablonka paru en 2016. Il s’agit d’un livre bouleversant, unique, exemplaire qui mérite que l’on en parle de nouveau à bien des égards. Au-delà du fait divers tragique Yvan Jablonka parvient à décrire un fait social total au sens où Marcel Mauss l’entendait. Comment la compréhension d’un événement, ici la mort tragique de cette jeune fille Laëtitia Perrais, donne à voir les failles d’une société qui laisse de côté et pire encore contribue à l’éviction de l’une des personnes qui la compose. Mais c’est surtout un récit vibrant, pudique, extrêmement émouvant autour de Laëtitia Perrais, autant de qualités qui le rendent à ce point légitime et juste.

C’est un ouvrage dans lequel on entre de prime abord sur la pointe des pieds. On le contourne, on hésite, on n’ose pas. On craint d’être un peu voyeur dans cette histoire à la fois tragique et bouleversante. Mais on aurait tort de ne pas l’aborder. Ce serait peut-être même manquer un peu de courage tant ce récit justement est dénué de tout sensationnalisme ou effet de ce genre. Le titre complet « Laëtitia ou la fin des hommes » plaide d’ailleurs en ce sens. Dans le sens de l’hommage rendu à cette jeune fille sans mettre de côté un seul instant la responsabilité d’un homme. Des hommes ?

Après être entrée un peu par effraction donc dans ce récit, mais une effraction douce, respectueuse qui ne dit pas son nom je n’ai à aucun moment regretté de l’avoir fait. Parce que le récit d’Yvan Jablonka est remarquable à tous égards. En premier lieu par le respect dont il ne se départi jamais à l’égard de Laëtita, et qui apparaît dès la préface où l’auteur rend compte des raisons qui l’ont conduit à vouloir écrire cette histoire. On ne peut qu’être touché par cette quête de compréhension plus que de vérité (en effet la vérité, si tant est qu’il y en est une, se loge quelque part entre tous les protagonistes de l’histoire) de cette volonté de réhabilitation qui irriguait déjà son travail sur l’histoire de ses grand-parents. On ne peut qu’être sensible à cette volonté de rendre justice à la jeune fille qu’était Laëtitia, à la ramener sinon à la vie mais du côté de la vie. Là où il est permis de croire, d’espérer en un avenir meilleur même si on arrive déjà lesté dans l’existence comme c’était son cas. C’est un récit remarquable aussi en cela. Par cette capacité à nous attacher à elle, à la suivre de loin en épousant le regard bienveillant de l’auteur. A souhaiter le meilleur pour elle, lors même que l’on sait que la tragédie est en marche, pire encore elle a déjà eu lieu.

Preuve qu’Yvan Jablonka a su se mettre à la bonne distance, au bon endroit pour nous parler d’elle c’est que l’on se surprend à penser à Laëtitia. Hors des moments de lecture, dans la journée en accomplissant des choses banales on se demande si elle aussi a fait ceci ou cela ou bien que ferait-elle à ce moment précis. Yvan Jablonka a convoqué sa mémoire par les multiples voix qui ont jalonné sa courte existence et il est parvenu à nous faire entendre la sienne propre. Il n’a pas érigé un mausolée mais bien une ode à cette jeune fille et à son désir de vivre. Par delà le mal, par delà l’horreur. Il a magnifié Laëtitia en l’extrayant de la sordide rubrique fait divers, il a su restituer son humanité et nous l’a rendue vivante, vibrante, présente.

Enfin son récit est remarquable car c’est celui d’un homme qui rend hommage aux femmes, aux jeunes filles, et aux petites filles victimes de la barbarie des hommes. En tant qu’homme il prend sa part là-dedans et assume une responsabilité générale dans le mal qui peut parfois être causé aux femmes. A sa manière il entreprend avec ce récit une réparation. Au-delà du préjudice irréparable de la mort de Laëtitia, parce qu’il  la ramène vers la lumière il s’adresse à toutes les femmes victimes de la violence des hommes. C’est d’ailleurs quelque chose qu’il défend tout au long de son récit. Il écrit aussi en tant que père de trois filles, époux tellement soucieux du sort des femmes. Tout au long de la lecture de Laëtitia d’Yvan Jablonka résonne la phrase d’Alfred de Vigny (1797-1863) « Après avoir étudié la condition des femmes dans tous les temps et tous les pays, j’en suis arrivé à la conclusion qu’au lieu de leur dire bonjour il faudrait leur demander pardon ». Yvan Jablonka, grâce à Laëtitia, et parce qu’à sa façon il lui demande pardon, redonne aux hommes et aux femmes qui également une part nécessaire de dignité et d’humanité. 

Marie Frétillière