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LE DEMON DE LA COLLINE AUX LOUPS, le diable tout le temps…

« Les hommes sont des choses vides et des fois leur vie se remplit de bien et des fois de mal et des fois c’est partagé et ça fait une lutte. »

Dimitri Rouchon-Borie a remporté récemment à l’automne trois prix successifs ( Le prix Louis Guilloux, le prix Goncourt du métro, le prix du premier roman décerné par Les Inrockuptibles) pour son roman Le démon de la colline aux loups paru au Tripode en janvier 2021. Par ailleurs son roman est sorti en Italie avec une très belle première de couv’ et aussi en audiolib. Plusieurs occasions donc de revenir sur ce livre incandescent et son parlement qui poursuit son chemin par delà les montagnes et par delà le temps…destin ô combien mérité.

Il y a quelques années est sorti un autre livre, de cette sorte de livre qui vous prend à la gorge dans tous les sens du terme, au titre évocateur : Le diable tout le temps de Donald Ray Pollock. En découvrant le roman de Dimitri Rouchon-Borie j’ai beaucoup pensé à ce dernier à cause du titre bien sûr mais surtout à cause de ces destins partagés d’êtres sacrifiés. Mais là où il n’y avait chez D.R Pollock aucun espoir parce qu’aucune rédemption il se passe autre chose avec Le démon de la colline aux loups, une forme d’élévation, de transcendance, et c’est aussi de cela que le récit tire sa grande force.

Ils sont surtout de ces livres qui nous hantent longtemps, bien après qu’on les ait refermés.

Le démon de la colline aux loups est de cette trempe, et même si sa lecture est récente elle va laisser une empreinte je le sais. Il est de ces histoires, de ces personnages que vous ne pouvez pas oublier quand vous les avez croisés. Ils iront rejoindre un long cortège, à la fois masse indistincte et individus isolés aux destins si marquants qu’ils accompagnent le vôtre. C’est comme cela désormais. Il faudra faire avec Duke comme avec tous les autres. Peut-être est-ce là manière de justice envers eux, ces êtres sacrifiés. Peut-être que toute l’humanité leur doit quelque chose. Peut-être que c’est la moindre des choses qu’ils cheminent à nos côtés, nous les vivants, toujours debout. Peut-être qu’ils ont des choses à nous dire encore longtemps après qu’on les ait rencontrés.

Alors je me suis demandé ce que Duke voulait dire avec son parlement ( je salue Dimitri Rouchon-Borie ) pour la justesse de cette langue que l’on sait exister sans pour autant la côtoyer de près. Il le sait par son métier de chroniqueur judiciaire, il semble évident qu’il l’a entendue cette langue. Il sait que ça existe et le monde qui va avec aussi. Ceux à qui tout manque et aussi le langage, les mots, et combien cela peut être dramatique. Combien cela peut nourrir la fatalité et condamne l’humanité des êtres. Duke donc avec son parlement nous conduit vers les tréfonds de l’âme humaine, on passe avec lui les cercles de l’enfer d’où il n’est pas revenu, nous si, mais en est-on seulement certain ? Se joue dans Le Démon de la colline aux loups à la fois la tragédie antique par son inéluctabilité et la tragédie moderne d’une société qui faillit et assiste impuissante au sacrifice des siens. Les enfants, les innocents, les fragiles les laissés pour compte. Alors nous voilà flanqués de Duke âme damnée qui expie une faute qu’il n’a même pas commise. Et pourtant il y a de la rédemption chez lui quand il sauve sa sœur de leur père ogresque, quand il tue celui qui a brisée celle qu’il aimait. C’est une rédemption sauvage, brutale qui finira de l’achever parce qu’à Duke il manque les mots justement, il manque ce qu’il trouve trop tard les auteurs, la pensée, une forme d’élévation. Ce qui nous permet de supporter le réel, de le sublimer, de survivre aussi parfois. Souvent.

Alors pour ce récit de violence et de force mais aussi fait d’éclats, d’une lueur, d’un souvenir de la boîte de Pandore…quel mot déjà? L’espoir oui parce qu’avec Duke malgré tout il y a l’espoir, la foi en ce quelque chose qui constitue l’intégrité de l’être. Cette part d’intégrité que nul ne peut enlever ou arracher et qui nous sauve tous. Alors merci à Duke et à tous les autres les oubliés les petits les sans-grade de faire un bout de chemin à nos côtés pour nous maintenir éveillés, aux aguets, attentifs, et restituer en nous ce qui manque parfois tellement, une part d’humanité.

Marie Heck

En audiolib
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