Cinéma

SHANTI MASUD – L’INCANDESCENTE

« Il y a toujours un mystère au fond de la beauté » 

La note bleueAndrzej Zulawski

On connait les gens sans les connaître. Je connaissais le clip d’AlineLa vie électrique.

Et finalement c’est un autre clip qui me ramène à cette réalisatrice Shanti Masud. Celui de l’émouvante Lonny dans Incandescente.

Je découvre alors son travail pour différents clips, dont l’ambitieux par sa forme esthétique, sur le travail des corps, pour O (Olivier Marguerit) et son titre Un torrent, la boue. 

En cherchant encore, le court métrage Pour la France qui rappelle le meilleur de Leos Carax avec Boy meets girl, échappé chez Eric Rohmer. Mais assez de références, elle s’articule elle même, avec son propre univers, onirique, flamboyant, d’une douceur extrême à la recherche d’elle même et des autres. Et si le secret de son oeuvre ne résidait pas dans l’extrait d’un dialogue, tiré de Pour la France « Elle cherchait quelque chose qu’elle venait de perdre ». Inventer, rechercher, explorer pour retrouver…

Rencontre avec Shanti Masud

Comment es-tu venue dans l’univers de l’audiovisuel ?

Jeune, j’ai d’abord fait une fac de cinéma, à Paris 8. Après mon cursus, j’ai commencé à réaliser des films courts, et assez naturellement je me suis mise à  faire des clips, sous plusieurs supports : Super 8, numérique, et même une fois à  l’I-phone

Quelles sont tes influences ?

Elles sont multiples et toutes différentes, mais pour l’image filmée elles sont avant tout cinématographiques. Je ne regarde presque jamais des clips, mes désirs de réalisation viennent des films. Je suis toujours narrative, même si c’est court, même si c’est un clip, même si au final le récit n’est pas la première chose que l’on recherche. Je ne peux pas réaliser un clip sans l’avoir écrit, sans comprendre quelles sont les émotions à  traverser et ce qui se joue dans l’histoire, aussi infime soit-elle. J’ai besoin du langage du cinéma pour fabriquer mes images.

Comment as-tu rencontré Lonny ?

Comme dans un rêve… Il y a quatre ans je cherchais une jeune femme aux cheveux courts pour un film annonce que je devais réaliser pour un festival, j’en avais parlé à  Pomme, la chanteuse, qui à l’époque faisait du baby-sitting chez moi pour garder ma fille ! Elle m’a dit, je connais une fille pour toi, elle n’est pas comédienne mais elle a les cheveux courts et elle serait super… J’ai donc fait la connaissance de cet ange au visage doux et aux yeux clairs et tristes, avec sa jolie coupe garçonne. Et on s’est adoré dès la première seconde. On a réalisé ce petit film d’une minute trente et elle m’a donné bien plus que ce que j’imaginais : l’émotion qui appelle les larmes. C’est souvent le plus difficile à  obtenir ; probablement ce qui m’est le plus précieux dans ce que je fais, quand cela arrive. 

Le film est visible ici : vimeo.com/167443070

 Pourquoi as-tu tourné en VHS ?

J’ai filmé les derniers moments de ma grossesse en VHS et en les revoyant récemment j’ai pensé que c’était une bonne alternative au Super 8, que j’ai souvent utilisé en petit budget et sans équipe… même si ces deux supports ne renvoient pas exactement à  la même esthétique, ils ont en commun d’être des formats « amateurs », avec un cadre carré, une facture visible, émouvante, du grain pellicule pour l’un et des lignes vidéo pour l’autre. Et j’ai retrouvé aussi une même approche, une même gestuelle dans leur utilisation. Mais, malgré ces formats Lo-fi, j’aime bien que l’image soit propre, qu’elle ne saute pas trop, et qu’elle soit plutôt maitrisée. Et j’évite de laisser trop d’amorces en pellicule, et avec la VHS, vu que c’est un support redevenu très à  la mode, j’essaye de ne pas faire de surenchère en saturant les couleurs à outrance et en filmant des gens en kways fluos 90’s par exemple… même si j’adore aussi ! Cela dépend du projet bien sûr. L’idée pour ce clip était de rester sobre.

Enfin, j’ai un petit rituel : je parle à  mes vieilles caméras pour qu’elles marchent encore pour moi, en leur demandant de faire les même efforts que moi pour attraper chaque image, et l’idée que je m’en fais. 

Comment as-tu réalisé ce clip ?

Avec la caméra utilisée, c’était épique, car les batteries ne fonctionnaient plus, ce qui nous a obligées à  redoubler d’ingéniosité pour tourner tout au bord d’une rivière, en utilisant une dizaine de rallonges à  brancher depuis une maison… mais on a réussi ! Ce qui fût laborieux au tournage a rendu le résultat encore plus précieux. Nous avons tourné trois jours, un jour chez Louise, un jour chez moi, et un dernier dans une campagne proche, où se trouve la rivière. Nous étions juste toutes les deux, comme un vieux couple qui se suffit à  lui-même. Ce qui est bien avec Louise c’est que je lui demande un boulot de comédienne, et comme elle ne l’est pas, elle n’attend pas que je la flatte en permanence. Elle m’écoute, parfois je lui raconte n’importe quoi, et parfois pour que ça marche il faut aussi que je me taise ! Ce qui compte, c’est de favoriser un espace pour la personne qu’on filme, pour la mettre à  l’aise dans un univers qu’on cherche et qu’on fantasme encore… et dans le cas d’un clip, qui n’existe d’abord qu’à  travers la chanson. Pour Incandescente, il s’agit en plus d’un gros morceau d’intimité, dont Lonny nous fait le cadeau.

Quelles furent tes inspirations ?

J’avais d’abord en tête une photographie en noir et blanc de PJ Harvey, le visage et le corps immergés dans un bain, pour les premiers plans du clip. Pour la séquence finale, au bord de l’eau, j’étais très stimulée par le souvenir de sublimes scènes de rivières, dans les films de Mizoguchi. 

Quelle histoire voulais-tu raconter ?

Je suis restée, comme souvent, assez littérale avec le texte, pour essayer de l’honorer au mieux. D’un commun accord avec Louise, on a esquissé les contours d’un personnage qui voulait évacuer, avec douceur, une grande douleur. Sa solitude retrouvée, elle accueille les éléments, le feu et l’onde, qui la régénèrent. Je crois que je cherche souvent la même chose quand je filme : au delà  de la mélancolie, j’aime capturer les sentiments dans leur silence, ceux qu’on garde pour soi et qu’on n’ose pas exprimer. Tâche difficile… Et donner à  cela une couleur, une composition. Ici, j’avais envie de teintes pastel, de cadres vaporeux. Je voulais à  nouveau créer des surimpressions, et surtout filmer de très près le visage de Louise, depuis un espace clos jusque dans la nature, qui gagne peu à  peu les images : l’herbe, le feuillage des arbres, et l’eau dans son espace naturel.

Portrait peint de Shanti Masud par David Simonetta.

SZAMANKA