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UN ETE JEAN DANIEL POLLET A LA CINEMATHEQUE :

UNE INTEGRALE A RETROUVER EN SALLES, EN DVD OU EN VOD.

SUR QUELQUES REPRISES DE L’ETE 2020. 

Il y eût à proprement parler peu de véritables reprises l’été dernier, les trois grands spectacles chroniqués la fois précédente émanant directement de circuits (UGC) ou de salles qui décidèrent de les projeter (Actions Ecoles Club ; Arlequin) : afin de pallier un vide, voire espérer faire enfin des entrées sur un contexte de réouverture très morose. Et même si les assemblées étaient clairsemées, il y avait bien plus de sièges occupés pour (re)voir Le Mans 66, AI et Les uns et les autres que pour découvrir la plupart des nouveautés…
Idem pour Les lèvres rouges d’Harry Kümel, ressorti juste avant le premier confinement, œuvre qui semble avoir gagné pas mal de nouveaux adeptes lors de la réouverture du 22 juin dernier : il faut dire que ce secret terriblement bien gardé du cinéma belge, mené par la toujours envoûtante Delphine Seyrig en Comtesse Dracula, a troqué récemment son statut de film « bis » pour la terminologie nettement plus enviable de petit chef-d’œuvre…
Le 22 juin dernier toujours, une mini-rétro Bo Widerberg eût un peu moins de chance que Les lèvres rouges, essuyant les plâtres de la réouverture du parc de salles : en même temps, tous les titres essentiels présents sur cette programmation – Elvira Madigan, Adalen 31 et Joe Hill pour les plus connus, avaient déjà eu tous droit à une reprise unitaire. Coup de chapeau au passage à l’éditeur Malavida qui contribue depuis quelques années à faire redécouvrir ce cinéaste encore méconnu mais majeur, en ayant ressorti en
salles ainsi qu’en DVD les premiers essais de ce réalisateur suédois (Le péché suédois ; Le quartier du corbeau et Eté 65) ainsi que son film testament, magnifique, La beauté des choses.
Sur l’été dernier, les distributeurs ralentirent de manière générale pas mal la voilure en matière de reprises : hormis le pétaradant Quelle joie de vivre! de René Clément, et deux Lattuada qui firent scandale en leur temps (Gwendalina et Les adolescentes), on notera encore sur ce créneau une forte présence américaine, absente en termes de blockbusters, mais inversement imposante en matière de patrimoine tout comme de cinéma indépendant. Un patrimoine qu’il est toujours bon de faire fructifier, de
la version restaurée d’Elephant Man à la ressortie très circonstanciée de Mississipi Burning, juste avant qu’Alan Parker ne décède, en passant par la programmation « Forbidden Hollywood » : 10 films des années 30, pré-code Hays, regroupés sous cette bannière, pour un cycle programmé à la fois dans des cinémas indépendants mais aussi au sein des gros circuits, tel Gaumont ou encore UGC…


PENDANT CE TEMPS, A LA CINEMATHEQUE : DE FUNES ET SURTOUT JEAN-DANIEL POLLET !

En matière de cinéma patrimonial, la Cinémathèque Française aura su tout particulièrement tirer son épingle du jeu, entre les deux confinements que nous avons pour le moment connus. Tout d’abord en restant ouverte en août, contrairement à ses habitudes, une fois sa réouverture fixée au 15 juillet. Et plus encore sur la rentrée de septembre / octobre, en tentant vaille que vaille, de manière équitable, de maintenir et décaler presque toutes les rétrospectives prévues du printemps dernier – exception faite, dommage, d’Hugo Santiago et d’Hiroshi Shimizu – : et tout cela, en intégrant les nouveaux remaniements de toute dernière minute imposés par le (premier) couvre-feu ! Bref, sans mauvais jeux de mots : un véritable casse-tête chinois !
On dit souvent sur les rares effets positifs du coronavirus, qu’il aura permis un ralentissement davantage salutaire sur un plan individuel, personnel que collectif (mise en veilleuse de l’économie oblige, avec tous les dégâts collatéraux à venir que l’on craint). Cette sensation de décélération a permis de retrouver des plaisirs oubliés, tout en s’avérant propice à effectuer quelques pas de côtés, souvent très judicieux : la programmation réduite de la Cinémathèque en juillet / août dernier, pouvait ne pas déclencher sur un
premier coup d’œil d’envie particulière. Mais finalement, par soutien et pour ne pas perdre une habitude bien ancrée, un ou deux De Funès d’avant la renommée, pouvaient raisonnablement intriguer : L’étrange désir de Monsieur Bard (1953) de Géza Von Radvànyi, pour sa thématique très étrange et plus encore pour Michel Simon (complètement ailleurs par rapport au film qu’il cannibalise, mais en état de grâce
comme à son habitude dans le rôle titre).

On retiendra plus encore Carambolages (1963), l’une des rares réalisations pour le grand écran de Marcel Bluwal, davantage reconnu pour sa longue carrière télévisuelle. Même si l’auteur de cette adaptation, Fred Kassak, s’est senti trahi y compris par les bons mots d’Audiard, cette comédie mal accueillie en son temps, sifflée en projection cannoise – parfois un atout pour la suite – est à redécouvrir de toute urgence.


La description de la vie en entreprise, en termes de rapacité et de bêtise, semble bien plus synchrone avec le monde du travail aujourd’hui, d’où la possible tiédeur de l’accueil sur la première sortie de l’œuvre…
Et puis, c’est évidemment grâce à sa distribution que cette satire fort plaisante, assez moderne sur certains de ses aspects, se transforme en véritable feu de joie : De Funès déjà sublime dans l’exécrable, Brialy en
jeune ambitieux, Sophie Daumier en tendre ingénue se font malgré tout encore voler la vedette par un Michel Serrault absolument déchaîné dans la seconde partie. Avec Serrault, cette comédie se met à tutoyer les sommets : pour ne rien dévoiler d’une toute dernière scène où un « jeune lion », star encore en devenir, effectue une apparition « magique », en total contraste avec la note finale d’une conclusion cynique et très ironique…


Ragaillardi en plein après-midi par une séance aussi enivrante, où le public répondit largement présent de par son adhésion et un bonheur non dissimulés, L’acrobate de Jean-Daniel Pollet, programmé dans la foulée en début de soirée, semblait nous faire comme un appel du pied… Car face à De Funès, occupant le principal espace d’exposition ainsi que la grande salle, la Cinémathèque reprogramma en parallèle l’été dernier, l’intégrale de l’œuvre de Jean-Daniel Pollet : un hommage suspendu dans son envol au bout de deux jours au printemps dernier, premier confinement oblige.
L’ACROBATE : CLAUDE MELKI AU FIRMAMENT


Etrange de remarquer qu’avant confinement, la rétro Pollet n’était absolument pas une priorité, pour avoir vu il y a des lustres à la fois Méditerranée et cet Acrobate : soit les deux versants les plus connus de sa
filmographie, côté documentaire, puis fiction.
Enchaîner deux bons films n’est plus aujourd’hui chose très courante : à plus forte raison deux comédies !
Si Carambolages est très ancré dans les promesses d’un modernisme très sixties, L’acrobate, moins assuré, plus funambule, est tout aussi emblématique du (grand) cinéma français des années 70.
Etre fan de tango ne s’impose pas pour apprécier toutes ces figures dansées de cet Acrobate : tant là encore, c’est un comique doux amer qui s’impose avant tout, en allégeant la vie au départ bien morne et très contrainte d’un simple employé de bains-douches. Claude Melki, le comédien principal, devint un véritable danseur de tango à défaut de devenir comme dans la fiction, champion international de cette discipline : Pollet avait réalisé sept sujets pour l’émission « Dim Dam Dom » en 1966 / 1967, dont un sur
l’école de danse de Georges et Rosy, champions du monde en 1934. Le couple joue d’ailleurs son propre rôle à l’écran, ainsi que Denise Glaser, initiatrice du célèbre programme TV cité plus haut : Georges et Rosy initieront eux-mêmes Melki aux pas de la danse argentine, durant un an, avant que le tournage ne débute enfin !


On sait ce que doit le film de Pollet à son comédien principal, sorte de Buster Keaton maghrébin qui aura fini dans la misère, par ailleurs oncle de Gilbert (Melki). Même si l’acteur est tout aussi prodigieux dans
d’autres fictions signées par le cinéaste, L’acrobate restera comme le sommet de leur collaboration : difficile en effet de monter plus haut, comme si cette éblouissante chronique dans ses envolées, contenait
déjà les promesses d’une chute à venir, pour ce comédien sans véritable plan de carrière. Là encore, juste derrière Melki, la distribution réserve bien des surprises, avec un Guy Marchand ultra gominé très conscient de son sex-appeal, et plus encore du côté des actrices, avec les redoutables Edith Scob et Micheline Dax, et en matière de jeunes pousses, les très fondantes Charlotte Alexandra et… Jeanne Manson !


En dépit du Grand Prix de la Critique décroché au Festival du Film d’Humour de Chambrousse, et d’un passage chez Drucker, L’Acrobate sera un nouvel échec sur le plan commercial, ne réunissant que 27 000
entrées en première exploitation. Pollet quittera Paris suite à cet insuccès, et entamera un long passage à vide, notamment dans les années 80, en signant un seul long, Contretemps, documentaire somme revenant
sur de larges parties de son œuvre. En même temps, il n’aura cessé de multiplier entre 1976 et 1987 des projets autour de Claude Melki, écrits souvent en collaboration avec Richard Dumbo, autre cinéaste rare
et encore plus oublié. Nul doute que le décès de Melki en 1994 aura beaucoup affecté Pollet, tout comme l’impossibilité de pouvoir distribuer une nouvelle fois son acteur fétiche dans des projets aussi originaux
que Le sosie. Melki devait interpréter le double d’un président algérien malade, pour éviter un soulèvement dans le pays : le sosie prend alors goût au pouvoir, mais voilà que le malade se rétablit ! Il va donc falloir lutter pour conserver la première place au sommet de l’Etat …


Ebloui par L’Acrobate, il fallut se tailler un chemin dans une filmographie pas évidente, dont on avait déjà croisé côté fiction une relecture douloureuse, assez crue du mythe de Robinson (Tu imagines
Robinson). Du coup, on a soigneusement évité, peut-être à tort, des œuvres telles que Le sang ou beaucoup hésité à se risquer du côté du Maître du temps, produit par Claude Lelouch et interprété par Jean-Pierre Kalfon. Melki sembla alors un bon fil rouge à suivre, présent dès les premiers courts, du désormais classique Pourvu qu’on ait l’ivresse au moins connu Gala – hélas loupé – en passant par Faubourg Saint-Denis, segment appartenant au célèbre film à sketches Paris vu par…produit par
Barbet Schroeder.


LA LIGNE DE MIRE : FILM OUBLIE PRECURSEUR DE LA NOUVELLE-VAGUE


Si l’entrée conjointe en cinéma du duo Melki / Pollet, Pourvu qu’on ait l’ivresse…, référence du format court primé à la Mostra de Venise, ne permet pas de retrouver totalement l’enthousiasme ressenti sur
L’Acrobate, La ligne de mire, premier long de Pollet resté quasi invisible, est à découvrir de toute urgence. Il s’agit bien d’une découverte, car l’ouvrage était resté invisible, suite à une « première » projection calamiteuse. Produit par le père du cinéaste, le film ne trouva pas de distributeur. Il n’y eut
guère qu’un certain Jean-Luc (Godard) pour défendre cet essai très étrange, mais en dépit de cet admirateur de haute volée, Pollet renonça de nouveau à montrer ses grands débuts au format long : très dur avec lui-même, il ne tint plus à montrer ensuite ce premier essai qu’il assimilait à une « erreur de parcours ». L’histoire du cinéma est cruelle, car il est aujourd’hui désormais acquis que La ligne de mire vaut bien par sa recherche cinématographique l’œuvre manifeste de Godard, A bout de souffle, souvent donnée comme point de départ véritable à la Nouvelle Vague. Un certain Luc Moullet classera d’ailleurs en 1965 cette « ligne de mire » parmi les 10 meilleurs films français sortis depuis la Libération ! Pollet ne
rencontrera en tout cas un début de renommée qu’avec Méditerranée (1963), moyen-métrage documentaire sur un commentaire de Philippe Sollers, accompagné par une partition signée Antoine Duhamel…


Dans un très éclairant numéro de la série « Cinéastes de notre temps » que lui consacra son collaborateur le plus proche, Jean-Paul Fargier, Pollet déclara avoir souffert d’être assimilé trop souvent à ce petit « hit » personnel que devint pour lui au fil du temps Méditerranée. Et effectivement, découvrir enfin de nos jours La ligne de mire permet en partie de comprendre ce regret : dans la mesure où toute la poétique
du réalisateur se donne déjà à s’éprouver dans sa totalité sur cette première fiction restée invisible, titre précurseur oublié de la Nouvelle Vague. Alors que le cinéaste débutant ne cessa de monter et remonter son œuvre, pensant avoir dénaturé au final son projet initial, c’est justement cette forme particulière, cette recherche qui en fait tout le caractère innovant à l’heure d’aujourd’hui.


Larguant les amarres avec le « cinéma de papa » encore dominant au milieu des années 50, Pollet opte déjà pour un dispositif qu’il reprendra dans ses documentaires, fondé sur la répétition des images comme
des situations, afin que « quelque chose puisse sortir du cristal », comme aurait dit Deleuze. Sur cette fiction sérielle, la musicalité du montage s’impose contre toute forme autre de contrat narratif. Et dans
cette œuvre bien trop moderne pour son temps, l’image-mère autour de quoi tout s’enroule sans pour autant se résoudre pourrait bien avoir subi comme un décentrement : décentrage qui se résume déjà dans
la figure mal assurée de Claude Melki ! Bien que distribué dans un second rôle, le comédien fétiche de Pollet esquisse dans ce galop d’essai comme un embryon de figures dansées à plusieurs reprises, en bordure de forêt… Image forte qui vient d’ailleurs clore cette première œuvre telle une « fin de partie ».
Mais surtout, reprise visuelle d’un motif qui résume d’emblée toute la poétique de Pollet, déjà bien installée au sein de cette fiction inaugurale où prime la musique des images, et à travers elle : cette sensation que rien ne dure, et que tout se rejoue sans cesse en étant déjà joué.

Samy Frey, Françoise Hardy et Jean-Daniel Pollet sur le tournage du film ‘Une balle au coeur’, en Grèce en 1965.


UNE BALLE AU CŒUR : LIMITES ET VERTUS DE LA COMMANDE


Six années séparent La ligne de Mire de Une balle au cœur, le second long-métrage de fiction de Pollet, interprété par Sami Frey, qu’il considérait comme une « curiosité qu’il accepte de montrer » ! Tentation
bien plus que tentative d’un cinéma plus commercial, et polar décevant si l’on veut bien suivre cette ligne, le film sera un échec cuisant en salles. Mais encore une fois, tout en se fichant de ses gangsters d’opérette et de son intrigue prétexte à une course vers la mort, le cinéaste nous embarque parfois dans un vertige proprement formel, qui n’oublie pas pour autant le cahier des charges à respecter : à l’image de cette filature assez rocambolesque où le personnage principal parvient à semer, à se débarrasser des tueurs qui le poursuivent… en se fondant dans une assemblée de prêtres allemands, tout de rouge vêtus dans leur
robe de bure, en goguette sur les hauts lieux touristiques de la Grèce.
La couleur (rouge sang) nous saute à la figure en même temps qu’elle fera un temps, diversion :

annonciation en même temps, du film suivant, adaptation très libre du Hors-là de Maupassant, moyen- métrage interprété par Laurent Terzieff . Pollet va y pousser à bout ses recherches sur la couleur, élément sous-exploité en termes d’éclats et d’apparitions sur le cinéma pris dans son ensemble. L’utilisation de la couleur reste sur Le Hors-là proprement renversante, instaurant une tension avec l’extérieur venant comme mettre en crise la performance pourtant magistrale de Terzieff. Ce n’est sans doute pas le fruit du hasard si Pollet collabore avec un peintre, Pierre Bellegarde, pour arriver à un tel règne de la couleur…Dominique Noguez, qui analyse surtout Méditerranée et Tu imagines, Robinson dans son ouvrage intitulé « Le cinéma, autrement », accorde néanmoins une place infime à cette adaptation, où l’argument de la nouvelle de Maupassant se mue en une véritable « symphonie pour couleurs et formes » :
au travers de jeux d’images semblant servir une autre narration, que celle qui se donne comme intrigue.


Ce petit détour par une adaptation tout ce qu’il y a de plus respectable pour mieux nous faire revenir à des structures plus communes, obéissant aux dures lois du polar. Si Une balle au cœur est une œuvre un peu
décevante, Pollet sait s’acquitter de la commande en retrouvant l’essentiel de ce qui fait (sérialité ; répétitions) ou va bientôt faire son style (la couleur éclatante). Le cinéaste loupe encore à ce stade son rendez-vous avec un cinéma plus populaire, comme il passe (complètement) à côté du personnage interprété par Françoise Hardy : concession supplémentaire faite au vedettariat de l’époque ou bien réelle faiblesse de la chanteuse en tant que comédienne ? En même temps, sur sa toute première partie, Une
balle au cœur s’attache à une autre figure féminine, véritable chanteuse dans l’espace : Jenny Karezy, sorte de « Romy Schneider du Pirée », venant personnifier si besoin s’en faisait encore ressentir, la passion que Pollet cultivait pour la Grèce… Soit deux autre(s) raison(s) supplémentaire(s) quant à ne pas trop négliger ce film bancal.


A un moindre degré de réussite, il en va de même pour Une balle au cœur que pour le dernier grand film de Guy Gilles, Le jardin qui bascule : dans les deux cas de figure, des auteurs aux univers reconnaissables, véritables créateurs de monde, se saisissent d’un genre codé (le polar) pour la part de
lugubre qu’ils pourront y traquer, y compris sur fond d’un soleil irradiant. Sur les figures imposées par le cahier de charges, s’immisce et gît toujours une fois même que tout est consommé ce qui compose pour partie le style propre à un auteur, sa passion inconsidérée pour certains éléments : pour Une balle au cœur, un voyage absorbant dans la couleur rouge venant retarder l’heure de la mort, et un visage de femme auquel on aurait du s’attacher davantage, personnifiant par son chant habité et sa lassitude toute la beauté et la détresse d’un pays, cette Grèce ô combien célébrée par le cinéaste.


L’AMOUR C’EST GAI, L’AMOUR C’EST TRISTE : UNE « CHANTAL » ABSOLUMENT INEDITE !


Continuons cette tentative partielle de faire circuler et aimer une œuvre protéiforme, par un retour à Claude Melki, absent d’Une balle dans le cœur, mais pas du retour au long-métrage de fiction qu’effectuera Pollet en 1968, avec L’amour c’est gai, l’amour c’est triste. Ecrite avec Rémo Forlani,
produite par le grand Anatole Dauman, cette comédie aigre douce paraîtra moins séduisante, moins percutante de prime abord que L’acrobate, scénarisé en compagnie de Jacques Lourcelles.
Ce qui fait la force de cette carte du tendre qui doit composer parfois avec des impératifs plus terre à terre, dessine également sa limite, tout du moins à l’écran. On est un peu surpris, tout en finissant par s’adapter,
de l’option choisie ici d’un lieu unique : cet appartement dont on ne sortira pas, qui donne son cadre à l’œuvre, en même temps que son atmosphère un peu étouffante. Pollet a cependant tout tenté, côté techniques de mise en scène, pour réduire ce sentiment de claustrophobie, optant pour le grand angle et le plan-séquence. L’amour c’est gai, l’amour c’est triste souffre malgré tous ces efforts un peu de ce surplace, par rapport aux embardées chorégraphiées de L’acrobate, plus aéré. Les comédiens sont souvent
filmés ici de face, comme sur une scène de théâtre, et le dialogue est absolument roi. Si l’origine de l’œuvre n’est pas théâtrale, on se prendrait presque à rêver d’une adaptation pour les tréteaux, où une telle
partition générale ferait probablement des merveilles. Car ce qui prime ici à l’écran, c’est ce plaisir du jeu que se partagent les quatre comédiens principaux : chacun dans un registre qui lui est propre se révèle
exceptionnel, Pollet ne cherchant aucunement à brider Jean-Pierre Marielle, pas plus que Bernadette Lafont. Face à eux, Melki poursuit ici sa collaboration avec le réalisateur qui l’aura découvert, en interprétant un personnage de candide assez lunaire, dont l’innocence va être mise quelque peu à l’épreuve.
On retrouve ici le dispositif de Rue Saint-Denis, le segment de Paris vu par…où Pollet dirige Melki face à Micheline Dax : face à une actrice chevronnée, très « pro », il distribue son acteur fétiche pas loin de perdre bientôt son innocence. Même scénario dans L’amour c’est gai… : la diction blanche de Melki face à la gouaille de Laffont et Marielle. Mais la grande surprise de cette comédie douce-amère, reste contre toute attente Chantal Goya. Autant l’apparition de Françoise Hardy dans Une balle dans le cœur affaiblissait l’ensemble, sans que personne ne soit vraiment à blâmer, autant la future chanteuse pour enfants apporte ici un charme fou, en dépit d’une interprétation assez sobre, en accord justement avec celle de Melki, conquis apparemment lui aussi. A se demander si la chanteuse bientôt à succès n’aurait pas dû persévérer en tant que comédienne, puisqu’elle se révélait déjà étonnante dans Masculin, Féminin de Godard…
En dépit donc d’une très légère déception engendrée par une théâtralité persistante un peu inattendue, L’amour c’est gai… prouve cependant à quel point chaque réalisation de Pollet reste unique en soi, tout
en réservant toujours des surprises : en l’occurrence donc ici, Chantal Goya actrice, qui prend en charge un personnage qui lui ressemble au départ, tout en se sortant mieux que bien d’une évolution qui ne lui correspond plus guère, à priori. Renoir appréciait beaucoup L’amour c’est gai… parce qu’il y retrouvait l’une de ses constantes préoccupations en tant que cinéaste, « à savoir le désir de mettre en valeur ses
acteurs » : on ne le contredira pas, étant donné que dans ce « petit théâtre » de chambre, chacun semble également avoir ses raisons !


UN CONTINENT ENCORE LARGEMENT INEXPLORE : NOTES SUR QUELQUES DOCS (POUR MEMOIRE ; JOUR APRES JOUR ; L’ORDRE).


Si la mise en scène de Pollet semble moins marquée, son style propre moins présent sur L’amour c’est gai, l’amour c’est triste, il semble en aller tout autrement dans ses documentaires, quels que soient leurs sujets. Même sans avoir revu Méditerranée, ni vu, loin de là, la totalité des documentaires de Pollet, cette assertion éclate comme une évidence à la vision d’œuvres aussi diverses que L’ordre (1974), Pour Mémoire (1978) : pour ne rien dire de son film posthume, Jour après jour (2006), réalisé par Jean-Paul
Fargier après le décès du cinéaste, en respectant le plan de montage que ce dernier avait dessiné juste avant de mourir.
Si la stylistique de Pollet ne convient pas toujours très bien aux sujets parfois traités, une œuvre comme Pour Mémoire – sur une forge qui va bientôt fermer – est un essai bien supérieur à la plupart des
documentaires qui sortent de nos jours en salles… Peut-être parce que le tournage dans cette usine datant de 1876 dura près d’un an : en se rendant chaque jour sur place afin d’être au plus près des gestes et des
rythmes ancestraux des fondeurs, bientôt voués à disparaître avec leur artisanat.
Jour après jour, œuvre posthume, s’envisage moins comme un testament que comme « un film de moins » : tour de force assez impressionnant pour un film entièrement composé de photographies,
exception faite de son prologue, possibles dernières images de Pollet de son vivant. Toutes les photos filmées par Jean-Paul Fargier sur ce dernier opus ont été prises « jour après jour » par le cinéaste lui- même, autour de son dernier espace de vie : Pollet fut renversé par un train en 1989 sur un tournage qu’il effectuait juste derrière sa maison, et ce grave accident dans un premier temps le diminuera, avant de le laisser handicapé à vie.
Le documentaire Trois jours en Grèce (1990), point de basculement de l’œuvre hélas pas vu, semble porter témoignage de cette tragédie. Trois Jours en Grèce, jamais sorti en salles, dont l’édition DVD par « La traverse » est la seule à être épuisée : sans doute l’œuvre de Pollet qui a fait coulé le plus d’encre avec Méditerranée… Le cinéaste tournera encore ensuite quelques films, chevillés à son handicap, tel Dieu sait quoi (1992), film d’objets en hommage à la poésie de Francis Ponge (grand admirateur de Méditerranée) ainsi que Ceux d’en face (2000) qui paraît s’accommoder de la situation difficile qui était devenue sienne : ces deux oeuvres composent au final avec Trois jours en Grèce une « trilogie autour de Cadenet », ferme habitation où Pollet terminera son existence.


Terminons avec L’ordre (1974), sans doute l’un des sommets de cette veine documentaire : Pollet y mêle la réalité la plus atroce – des lépreux parqués sur une îlot par le gouvernement grec de 1904 à 1956 – à son propre cinéma de poésie. Il retrouve l’un de ces bannis, Raimondakis, le fait témoigner face caméra, en lui redonnant l’existence qu’on lui avait jadis volée. L’ordre ne se limite pas à rendre une parole qui s’était vue confisquée, en la donnant à entendre mais aussi à voir : le visage du lépreux vient occuper toute la surface de l’écran, en déroulant le récit de sa mise au ban sociétale. Pollet mêle cette part de réel à d’autres paroles, commentaires, ainsi qu’à l’exploration de lieux aussi abandonnés que beaux, L’île de Spinaloga où ces faits se sont réellement déroulés.


Prix de la critique internationale à Grenoble en 1974, L’ordre est sorti en salles accompagné d’un autre chef-d’œuvre du doc, Le cochon de Jean Eustache et Jean-Michel Barjol. Il fut produit un peu contre toute
attente, tout comme le Hors-là, par les laboratoires pharmaceutiques Sandoz ! « Si il y a un film que je retiendrais bien, c’est celui –là. » (Jean-Daniel Pollet, sur L’ordre, en 1993, lors d’une rétrospective de son œuvre à la Cinémathèque de Toulouse).


On a beaucoup de mal en effet à comprendre comment une œuvre aussi envoûtante puisse être absente d’ouvrages de référence sur l’histoire du documentaire comme genre cinématographique. Pire encore : il en va de même en général de tous les autres ouvrages signés Pollet qui se rangent dans cette catégorie.
Curieux pour un cinéaste qui sera allé jusqu’à payer bien malgré lui de sa personne, en voulant réaliser juste « un film de plus »… Et qui une fois immobilisé, poursuivra la quête qui l’animait sur un versant quasi strictement documentaire : en faisant venir cette fois le monde à lui, afin d’en explorer encore et encore le potentiel de musicalité, qui lui permettait en retour de se sentir toujours en vie.


Jean-Paul Fargier vient de signer une autobiographie sur le cinéaste qui fut son grand ami, « La vie retrouvée de Jean-Daniel Pollet », dont le quatrième de couverture est très troublant. L’intégrale des œuvres de Pollet fut reprise au Reflet Médicis en septembre dernier, et devrait tourner en province. Les films sont sinon tous édités en DVD, à l’exception de Trois jours en Grèce, épuisé pour l’instant.

LAURENT BOSSU