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LAURENT BOSSU – MON DRÔLE D’ÉTÉ AU CINÉMA (épisode 3)

POUR REVENIR TOUT D’ ABORD SUR LE CAS « MIGNONNES ».

On ne sait jamais très bien pourquoi certains films nous attirent moins que d’autres. On se dit que l’on verra bien plus tard, qu’on a le temps… et du temps, on en a eu plus que de coutume cet été pour découvrir des œuvres qui restaient en général plus longtemps à l’affiche ! Une bonne habitude qui s’était perdue à l’orée de la décennie précédente, enfin retrouvée justement de par une offre réduite en général de moitié : ce qui ne constituait donc pas un mal pour un spectateur qui aurait eu enfin envie de souffler, d’autant plus au sortir d’un confinement qui fit redécouvrir à beaucoup la valeur « Temps » !

Je n’avais donc pas une grosse envie de découvrir Mignonnes, la semaine où il est sorti. En même temps, sa réalisatrice avait réalisé Maman(s), un court au sujet assez voisin qui s’était distingué dans le monde entier : comme quoi, des productions remarquées partout peuvent malgré tout finir par nous échapper. 

Et puis, il y aura eu ces différents problèmes rencontrés par le premier long-métrage de Maïmouna Doucouré : tout d’abord en Turquie où Mignonnes s’est vu taxé de pédophilie et de film islamophobe ; puis ensuite en Amérique, où de mémoire, l’affiche « conçue » par l’un de nos nouveaux maîtres à penser, Netflix, afin d’inonder son marché posa problème à bon nombre de texans comme à pas mal de ses abonnés… 

Etant donné que je goûte le moins possible que l’on pense à ma place, et pire encore que l’on me dicte quoi regarder – ces deux restrictions ayant tendance à se recouper, dans un monde d’images – l’envie de voir Mignonnes s’est mise subitement à enfler, histoire de vérifier si toutes ces accusations pouvaient être fondées. Je me suis donc décidé à découvrir l’objet du délit, le lendemain de l’assassinat de Samuel Paty, sans que rien ne soit pourtant prémédité : c’est que les salles où le film était diffusé commençaient tout simplement à se faire rares… 

Par rapport à la cabale principale qui le vise, Mignonnes peut prêter à confusion sur une seule séquence, où le mot « pédophile » est bien prononcé. Et encore, car en même temps, cette scène opposant les jeunes filles à des agents de sécurité ne saurait guère souffrir d’équivoque, tant son traitement tire plutôt vers l’effet comique… A l’inverse, et c’est enfoncer une porte ouverte tant cela a déjà été dit à de nombreuses reprises : Mignonnes serait plutôt dans la dénonciation de ce qui pourrait réveiller plus d’un prédateur sexuel. A savoir : l’hyper-sexualisation des corps chez les adolescentes et plus encore comme c’est le cas ici, chez les préados. 

Par contre, le film se montre effectivement assez critique sur la question de la religion, première victime parfois comme ici de ses contradictions, avec le pointage en tout premier lieu de la polygamie : un « évènement » pas toujours facile à vivre au sein d’une famille, ni à suivre depuis le regard d’une enfant. De même, certains aspects des vies familiales répertoriées ici, même filmés en fond de plan, pourront gêner aux entournures ceux qui se trompent de cible question pédophilie, tout en étant là pour le coup dans le collimateur du viseur : un « grand frère » qui corrige sa petite sœur en la frappant, cela ne fait certes pas un pédophile pour autant, même si cet acte pourra être assimilé également à une forme d’abus de pouvoir… 

Victime de plusieurs polémiques convergentes dont une totalement à côté de la plaque, Mignonnes fait preuve face à toutes ces accusations d’une belle santé en témoignant d’une sacrée pèche : citation de « Petites » de Noémie Lovsky à l’appui, le temps d’une scène… 

Très plaisant, bourré d’énergie, Mignonnes est qui plus est bien plus subtil et malin qu’il n’en n’a l’air, mais pour comprendre que cette malignité n’a rien de diabolique, il est nécessaire de visionner l’oeuvre jusqu’à sa très belle scène finale : car en définitive, pas certain que la jeune héroïne ne choisisse vraiment entre tradition et modernité, les deux alternatives qui se présentent à elle. Par contre, par une fort belle idée de cinéma, la caméra la soustrait de la scène (de jeux) à laquelle elle participe : en opérant un ralenti image qui la recadre seule, décomposant dans le même temps le mouvement d’ascension qui anime alors toute son enveloppe corporelle. 

Par la convocation d’un simple procédé cinématographique ralentissant le mouvement,  l’on passe de la simple participation à un jeu d’enfants (sauter à la corde) à l’émergence pure de l’individu. Un être finalement filmé pour lui-même, dont la liberté propre n’est pas plus dans le champ familial que dans son appartenance à la bande des « mignonnes » : miroir aux alouettes juste un peu plus illusoire sur cette question du « vouloir voler de ses propres ailes ». 

En même temps, cette superbe note finale dialogue avec une scène présente au tout début de l’oeuvre où la réalisatrice convoque une autre figure cinématographique, voisine du ralenti, en y faisant même parfois suite : celle de l’arrêt sur image. 

De mémoire, l’action se déroule alors dans la cour du collège, où juste avant de rentrer en classe, la totalité des corps en présence figent leurs mouvements, pétrifiant toute la scénographie déployée sur l’écran le temps d’un instant… qui dure plus que de raison ! L’effet, incongru, est tellement réussi qu’on songe le temps d’un éclair, à un possible défaut de projection : avant de découvrir, avec le rappel à l’ordre de leur professeur qui les invective dans le hors champ, que cet arrêt sur image était pur artifice, une sorte de « coup monté » de la part des élèves. 

En fait, cette suspension très temporaire du mouvement était une pure construction, revendiquée par tous les jeunes protagonistes présents ce jour-là dans la cour, afin de faire valoir, d’user de leur pure et simple « liberté d’expression » ! 

Le gag fonctionne remarquablement bien, mais en même temps, le rire peut aussitôt s’étouffer, pour peu qu’on découvre Mignonnes, par le plus grand des hasards, le « jour d’après » l’assassinat de Samuel Paty. Drôle de télescopage en effet, quand à bien vouloir faire le lien, entre tout ce qui aura pu être reproché à ce premier long-métrage prometteur – en espérant que cela s’arrête là – et ce que Mignonnes revendique, pointe, critique : en accélérant tantôt le mouvement (chorégraphies, danses, gigotements en tous genres) ou à l’inverse en choisissant de le ralentir, voire même de le figer, afin alors de mieux nous « montrer »…

Montrer, donner à voir : fonction probablement première du cinéma… Ralenti, arrêt sur images : au-delà du trucage, de l’effet esthétique, deux procédés cinématographiques qui devraient amener à mieux voir, analyser, exercer sa pensée. Il faudrait sans doute (re)partir de là car, compte tenu de son grand âge et de ses antécédents, ce n’est certainement pas  l’éducation du cinéma, l’on s’en doute bien, qui serait totalement à revoir ! Et Mignonnes est désormais quoi qu’on en pense, un film qui fait partie même très modestement de l’Histoire du Cinéma. Tout simplement déjà parce qu’à plusieurs reprises il en utilise des éléments de langage afin d’asseoir ou clarifier sa position. Que cela puisse froisser ou ait pu être mal compris est une autre histoire, qui n’appartient pas vraiment par contre au domaine cinématographique… Pour ma part, le cinéma m’a appris – mais pas seulement – à voir un film entièrement, jusqu’à son terme, afin de pouvoir ensuite (bien) pouvoir en parler. Par exemple : Mignonnes, justement.

PEU IMPORTE LE METRAGE, LES ENTREES… : SUR QUELQUES AUTRES FILMS FRANÇAIS SORTIS L’ ETE DERNIER.

DEUX PROGRAMMES COURTS (CELLES QUI CHANTENT / SAPPHIRE CRYSTAL)

CELLES QUI CHANTENT

Tout début juillet est sorti sur Paris un programme de quatre courts autour du pouvoir du chant : commande de l’Opéra de Paris, Celles qui chantent est composé de quatre segments, deux situés intra-muros (Garnier ; Bastille), deux autres tournés à l’étranger (Tunisie ; Iran). Le film de Karim Moussaoui, en dépit de son beau sujet, est malheureusement filmé avec les pieds et multiplie plus que de raison les effets arty. Jafar Panahi, qui clôt cet ensemble sur une magnifique dernière scène ne se renouvelle pourtant guère, pas plus qu’un cinéma iranien « toujours pas rangé (de l’intérieur) des voitures »… L’ouverture de Celles qui chantent, signée Sergei Lonitza déçoit également, avec son montage d’archives certes impeccable mais bien trop froid, en dépit de son superbe point d’orgue : la Callas en personne, pour nous offrir un beau petit tour de chant, certifié lui aussi d’époque. 

Mais que reste-t-il alors à se mettre sous la dent, dans ces productions visibles également sur la plateforme audiovisuelle de l’Opéra de Paris « La 3ème Scène », pour leur première sortie en salles ? Eh bien, tout simplement le premier essai de Julie Deliquet, intitulé Violetta : la metteuse en scène de théâtre, remarquée pour ses adaptations scéniques de Bergman et Despleschin, est bien la seule à tirer ici véritablement son épingle du jeu. Après avoir porté sur les planches « Fanny et Alexandre » et « Un conte de Noël », Deliquet nous prouve qu’on peut convoquer la spécificité du cinéma avec une seule idée forte, tenue et développée jusqu’à son terme : sa proposition reste en effet de bout en bout du cinéma pur. Il suffit donc, une fois qu’on a couché sur le papier un argument qui se rapporte à la nature du 7ème Art, de chercher à lui trouver sa plus exacte et forte expression à l’écran. A partir de là, d’ailleurs, rien de vraiment sorcier, le cinéma procède de lui-même et se fabriquerait presque tout seul…

SAPPHIRE CRYSTAL

Autre court-métrage à avoir eu les honneurs d’une petite sortie en salles – parfois très courue – à la mi-juillet : Sapphire Crystal de Virgil Vernier, pas tout à fait un inconnu. Le réalisateur de Mercuriales, Orléans et Sophia Antipolis nous convie à partager verres et soirées avec la jeunesse la plus dorée de Genève. 

Grand Prix du festival Côté Court, Sapphire Crystal propose effectivement une expérience immersive assez particulière : afin de nous accoutumer progressivement à cette galerie de « jolis petits monstres » plutôt bien vue, on retrouve bien le style de l’auteur, flottant entre fiction et documentaire. Le sentiment de toute puissance qui se dégage de ce portrait de groupe n’est cependant pas sans poser question : au spectateur – qui peut raisonnablement se demander ce qu’il fait là – mais aussi du côté des filmés, davantage côté filles, bien plus mâtures et moins suffisantes que leurs petits camarades. Encore que… 

On est juste un peu frustré par la durée de ce métrage (31 minutes) : preuve indubitable de la fascination que commençait à exercer sur nous cette petite galerie particulièrement bien née ! Comme quoi, encore une fois, ce qui compte n’est pas tant ce qu’on montre, mais bien plutôt comment on approche et décide de filmer son, voire ses chers « sujets » … 

UN BEAU RETOUR (JUST KIDS)  

Un grand retour sinon à ne surtout pas négliger, passé hélas bien trop vite à la trappe malgré une critique dans l’ensemble assez positive : celui de Christophe Blanc, signataire d’un film par décennie pour le grand écran, entrecoupé à chaque fois d’un travail pour la télévision. Vingt ans après Une femme d’extérieur qui lui avait apporté une belle reconnaissance, et dix ans après un second essai décevant pour beaucoup, Blanc comme neige, Just Kids sorti tout début août, nous emmène certes en terrain connu, en matière de style comme d’univers exploré : soit du naturalisme comme école à la française… 

Mais ce troisième long-métrage emporte l’adhésion de par la seule force du drame qu’il nous conte, au cœur duquel trouve à s’exercer un lien fraternel très puissant. Et les quelques réticences qu’on pourrait encore éprouver au détour d’une ou deux scènes mal réglées, se retrouvent littéralement balayées par l’interprétation magistrale de son duo principal, Kacey Mottet Klein et plus encore Andrea Maggiulli : sans aucun doute la plus belle incarnation des blessures et du visage de l’enfance l’été dernier, au sein d’une concurrence parfois féroce (Anna Pniowsky dans Light of my Life ; Fathia Youssouf dans Mignonnes). 

COMEDIE FRANCAISE : UN ETONNANT VENT DE FOLIE (TERRIBLE JUNGLE)

Enfin, face à la quasi-absence de blockbusters américains, on a pu noter que notre cinéma hexagonal aura eu à plus d’une reprise recours à la grosse artillerie en matière de comédies, exception faite de Tout simplement noir et Effacer l’historique, qui pouvaient justifier le déplacement… Pourtant, ce n’est pas ces deux là qu’on a envie de retenir dans cette catégorie, même si leurs efforts à relever le niveau global ont su porter leurs fruits… 

Car on n’éprouve absolument pas la moindre honte à avoir passé un très bon moment devant Terrible Jungle, peut-être bien la « meilleure comédie à la française méconnue de l’été », tant elle n’a pu tout à fait bénéficier  du même type de campagne publicitaire que toutes les autres. 

Par pure curiosité tout d’abord, on a eu envie d’effectuer le voyage, en se demandant à quoi pouvait bien ressembler cette loufoquerie écrite et réalisée à quatre mains : imaginez notre Deneuve nationale perdue au fin fond de l’Amazonie, coincée entre deux figures du stand up contemporain qui vont lui donner, chacune à sa manière, bien du fil à retordre. 

Si le résultat s’avère être un peu bancal, « faute » en incombe « surtout » à toutes les séquences mettant en scène un escadron de gendarmerie bien planqué, qui déséquilibre l’ensemble de par l’hilarité constante qu’il procure tant il vaut son pesant de cacahuètes : entre fous rires mal contenus et réalisme cruel à vrai dire assez ressemblant, on ne risque pas d’oublier Jonathan Cohen, véritable « révélation » du film, et toute sa troupe de bras cassés, ainsi que leurs drôles de relations avec les singes !  

Alors, en dépit d’un divorce patent entre grand public resté peu perméable aux appels de cette terrible jungle et critiques dans l’ensemble relativement conquis, il ne tient qu’à vous de vous faire une petite opinion sur ce qui restera comme l’une de deux ou trois – voir plus haut – comédies françaises sorties l’été dernier, qui semblent avoir banni le mot formatage de leur cahier des charges… Vous voilà au moins prévenus !   

CINEMA INTERNATIONAL : SUR DEUX SACRIFIES, TOMBES LES PREMIERS AU CHAMP D’HONNEUR.  

AUX AVANT-POSTES SUR L’APPEL DU 22 JUIN (MOSQUITO / NOUS, LES CHIENS)

Les cinématographies du monde n’ont guère profité de l’été très particulier qu’ont pu connaître les salles depuis fin juin dernier, exception faite de Lucky Strike sorti début juillet, ou de Dans un jardin qu’on dirait éternel sur la toute fin août. Le premier a pu bénéficier de l’engouement actuel qui traverse notre pays pour le cinéma coréen, le second d’une campagne de publicité intelligente qui mettait en avant dans la foulée la société Hana Bi, avec la richesse de son catalogue à découvrir… 

Pourtant, sur le plan du cinéma international, la réouverture des salles le… lundi 22 juin ne fut pas complètement avare. Mais il n’était vraiment pas aisé de repérer les « sorties nationales » – sur deux jours qui plus est ! – de Mosquito, production Paulo Branco réalisée par João Nuno Pinto, tout comme du dessin animé sud-coréen Nous, les chiens

MOSQUITO

Après une première partie assez classique, une fois son jeune héros perdu seul dans la jungle, Mosquito devient un film trip très prenant, rappelant les meilleures quêtes initiatiques d’Herzog, et plus près de nous le Dead Man de Jarmusch… Malgré un manque de moyens patent, notamment sur la fin, cette odyssée sensorielle très culottée – parfois même très déculottée –  s’apparente à une sorte de grand huit où l’expérience de la guerre, mais aussi de l’inconnu et de la violence, fait non seulement muter les corps mais aussi les esprits. Mosquito est un météorite qui a malheureusement disparu des écrans presque aussi vite hélas qu’il y était arrivé : un « passage express » qui n’aura fait que renforcer en tout cas son aspect parfois hautement hallucinatoire, pour toutes celles et ceux qui auront pu croiser cette proposition follement radicale sur leur chemin.

NOUS, LES CHIENS

Outre sa très belle affiche, Nous, les chiens est une anime qui aurait mérité elle aussi qu’on la défende un peu plus. Au moins, le genre cinématographique auquel elle se rapporte aura permis à cette production de tenir un peu l’affiche sur des séances en journée destinées au jeune public… 

Cette bande de chiens errants en quête d’un même eden, cherchant à éviter les humains afin de ne pas passer entre les mailles de leurs filets, hérite d’une forme assez banale, mais compense par l’univers singulier – hétéroclite mais hautement animalier –  qu’elle impose très vite. 

Les réalisateurs appliquent ici la leçon hawksienne on ne peut plus à la lettre (« – de l’action, de l’action, encore de l’action ! ») quitte à abuser un peu trop parfois de ce précepte. Ils n’ont cependant pas oublié de saupoudrer les nombreuses péripéties de leur bande de toutous d’un léger soupçon de poésie. Bonne pioche ! Car alors que l’action menaçait de s’enliser sur le grand final, c’est justement la poésie qui se retrouve convoquée à la rescousse pour libérer l’œuvre de cette ornière : et Nous, les chiens de se clore sur une « action poétique » de la plus belle eau, niant le principe de réalité le plus âpre pour lui préférer une volonté absolument « phénoménale » à chercher à conserver sa liberté a tout prix. 

CINEMA INTERNATIONAL, QUARTE GAGNANT : BELGIQUE, ALGERIE, POLYNESIE, MEXIQUE !

LA FORET DE MON PERE

Le 8 juillet, ce fut au tour du cinéma belge de nous donner de ses nouvelles, plutôt bonnes, si on en juge par La forêt de mon père de Véronique Cratzborn. Aussi attachant que L’envolée de la britannique Eva Riley sorti le même jour, cette première fiction autobiographique prends à bras le corps un sujet pas facile (la maladie mentale), tout en nous offrant quelques jolies scènes bien barrées. La forêt de mon père bruisse surtout des belles présences qui composent son casting, en premier lieu desquelles celle d’un acteur trop rare, assez transformiste : Alban Lenoir, une forte présence découverte il y a quelques années dans Un français de Diastème… 

ABOU LEILA

Mi juillet, ce fut au tour d’Abou Leïla d’Amin Sadi-Boumédiène, de tenter sa chance en salles : film pas facile à appréhender comme à recevoir, difficilement soutenable parfois, revenant sur une période historique douloureuse pour l’Algérie, en entremêlant à la réalité meurtrie par les attentats des années 90, la folie propre de l’un de ses personnages principaux. Lent, le film gagne pourtant haut la main son pari sur la longueur, de par des ruptures de tons de plus en plus audacieuses : la démence ici convoque bien des rêves, souvent mauvais, mais filant parfois de parfaites métaphores, telles celle magnifique de la figure terroriste assimilée peu à peu à un fauve, une bête sauvage… Si Abou Leïla nous emporte souvent bien loin de sa situation initiale, c’est pour toujours mieux nous y faire retourner : un peu comme si l’on avait accepté de franchir, en s’enfonçant avec ses protagonistes dans le désert, l’un de ces fameux cercles de l’enfer…

L’OISEAU DE PARADIS

L’oiseau de Paradis de Paul Manaté fait partie de ces quelques titres – souvent des documentaires très réussis tels que Green boys d’Ariane Doublet ou encore Les Grands Voisins, la cité rêvée de Bastien Simon – à avoir eu d’abord droit à une sortie VOD lors du confinement du printemps dernier, avant de bénéficier de quelques projections ou d’une sortie discrète en salles par la suite. 

Production française tournée en Polynésie par un cinéaste venant lui aussi du documentaire, visiblement amoureux de paysages qui sont aussi les siens, ce conte contemporain, manquant parfois un peu de souffle, se révèle néanmoins intrigant de bout en bout. Et Manaté offre avec son Oiseau de paradis un bel exemple d’une chose devenue plutôt rare : il est donc possible, tout en tournant en numérique – on le suppose en tout cas – d’obtenir une image « hyperchiadée »… Une image juste conforme peut-être à celle que l’on recherche, afin de la voir participer depuis les sortilèges qu’elle déploie, à un envoûtement plus général.

MANO DE OBRA

On citera encore, sorti mi-août, Mano de Obra, film mexicain très court, sec et implacable, produit par Michel Franco. David Zonana y traite de lutte des classes, en parvenant à créer sur un laps de temps donné une autre alternative, avant que le réel ne finisse par reprendre bien évidemment ses droits. Pas le moindre morceau bout de gras dans ce suspense bien illusoire : pas plus dans sa première partie immoralement saine, que dans sa seconde qui radiographie une communauté qui court à sa perte, dès lors qu’elle accède à cette place que la société lui a toujours refusé.

CINEMA INTERNATIONAL : UN VRAI CHAMPION, TOUTES CATEGORIES CONFONDUES !  

Enfin, le meilleur pour la fin : on aura pu remarquer à quel point, à de rares exceptions prêts telle le sympathique Une belle équipe, les films sur le sport sont souvent ceux qui se font en général débarquer le plus vite, une fois parvenus sur les écrans… Le défi du champion de Leonardo Agostini est sorti le 5 août, et restera donc aussi, sur toutes les œuvres distribuées au cours de l’été dernier, comme le « champion » toutes catégories confondues d’une carrière éclair effectuée en salles, rapportée à cette même période estivale. 

Le défi du champion est pourtant le prototype du bon film, qui sait traiter son sujet : pour cela, il développe tout d’abord tout un « staff » de caractères au bord de la juste caricature, entourant un jeune footeux, milliardaire à 20 ans, dont l’éducation laisse à désirer. Afin qu’il puisse au moins décrocher son bac, le président de son club lui adjoint un professeur revenu de tout, et pas vraiment fan des jeux de ballons…Le caractère, les deux personnages principaux du film le possèdent tous deux justement bien trempé, et leur confrontation ne va pas manquer de produire de belles étincelles. 

Par delà la relation qu’il décrit en profondeur, et les transformations non moins profondes qu’elle engendre dans chacun des camps des deux principales forces en présence, Le défi du champion est d’abord, redisons-le, est un film bien écrit, populaire, sur un sport qui ne l’est pas moins. Quelques facilités, vite oubliées, n’entachent pas la crédibilité de cette œuvre particulièrementhabitée: laquelle parvient le temps d’un match superbement bien filmé, à faire comprendre aux non-initiés l’incroyable euphorie provoquée par un but « instantané ». 

Mais ce « défi… » est aussi une production transalpine qui, bien que récompensée par le Prix du Public au Festival du Film Italien de Villerupt, semble avoir quelque peu raté sa cible, en regard du bide injuste qu’elle aura pu faire en salles. Peut-être parce que le monde des jeunes stars du foot n’a jamais été montré avec autant de réalisme, arrogance et immaturité mêlées : Leonardo Agostini dit s’être inspiré de Mario Balotelli, afin d’élaborer son personnage de jeune footeux. Il dédie également Il campione à son propre père, d’où sans doute l’intérêt qu’il porte au professeur interprété par Stefano Accorsi, véritable contrepoids aux frasques du personnage interprété par le jeune Andrea Carpenzano, qui ne l’intéresse pourtant pas moins. 

Dernière petite précision : pas besoin, mais vous l’aviez peut-être déjà compris, d’être fan de tournois autour d’un ballon rond pour apprécier ce « défi » et son « champion », même si cela peut aider. Par contre, sur des thématiques telles que l’éducation ou encore la transmission, Le défi du champion distribue d’abord pas mal de cartons rouges, avant de joliment botter en touche et d’enquiller finalement les buts.       

On a rattrapé au vol cette radiographie fort bien vue et très bien interprétée dans une grande salle quasiment vide, un soir de match de foot à la télévision … Dommage, vraiment dommage, pour la justesse et la belle générosité qui anime cette magnifique rencontre au sommet : sans doute l’une des œuvres les plus émouvantes sorties l’été dernier. Mais la balle est maintenant dans votre camp.