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CELINE PITAULT – MALAXE

« Tout occupé à son écriture, Antoine ne vit pas la jeune femme qui s’était assise en face de lui. Et même s’il l’avait vue, on peut parier qu’il n’aurait rien su d’elle. Quand on regarde quelqu’un, on n’en voit toujours que la moitié. » Jean-Pierre Ronssin/Christian VincentLa discrète

A Avignon, pendant le festival de théâtre, on se croise, on se frôle, on s’évite et parfois on se heurte. Il arrive qu’un regard vous émeuve, qu’un corps lancé dans un mouvement stop net sa course folle, un tract à la main pour parler d’une pièce de théâtre, et qu’épuisé et lassé par ce drôle de cirque, la promotion, le masque tombe et c’est ainsi que m’est apparu Céline Pitault.

Céline est née à Melin et y restera jusqu’à ses 4 ans. Ensuite grand changement pour Pertuis dans le Lubéron jusqu’à 19 ans et le départ pour Paris.

Céline a 9 ans, son frère répète le Cid et elle tombe sous le charme des mots, de leurs étranges beautés. Fascination. Le théâtre rentre dans sa vie pour n’en plus jamais sortir. Au collège elle monte des projets, choisit les textes et emmène ses amis dans ses rêves. « J’étais abonnée au magazine de cinéma Première. Il y avait des posters dans ma chambre : Romy Schneider, Emmanuelle Béart, Isabelle Adjani, je lisais les interviews, je rêvais, c’était une ouverture sur un autre monde…loin de Pertuis. »

Afin de rassurer sa famille et peut être elle aussi, elle poursuit des études d’infirmière à la Salpêtrière durant 3 ans. « Cela m’a énormément enrichie, mais le théâtre restait à la surface alors j’ai suivi, après mes études d’infirmière, les cours du soir à l’école de Chaillot.« 

« Très réservée, je tais beaucoup des mots dans la vie de tous les jours, sur scène je peux emprunter les mots des autres et raconter des histoires et défendre des projets. »

En 2010, elle crée sa compagnie Les airs entendus, Elle veut défendre les textes qu’elle aime, une amie écrit Sainte Suzanne pavillon 32 sur la psychiatrie. « J’avais fait forcément durant ma formation, pas mal de stages en psychiatrie, je voulais leur donner la parole à ces femmes... Après ce sera un texte de Charlotte Delbo Mesure de nos jours. C’est un peu mon obsession de porter la parole, la parole des gens qu’on n’entend pas.

Viendra ensuite Ce que les enfants racontent à leurs parents quand ils dorment de Ludovic Longelin, son premier seul en scène adaptée de l’histoire de Florence Rey.

« Et puis je suis happée par un texte, je revenais du festival d’Avignon, où je jouais Celle qui revient là, d’après Marina Tsvetaeva et chez mes parents un livre est posé sur la table de la cuisine Le fils de Michel Rostain. »

Michel Rostain est metteur en scène de théâtre lyrique. Il a un fils Lion qui naît le 19 avril 1982 et décède le 25 octobre 2003 des suites d’une méningite foudroyante.

« J’ai été émue de la manière dont il faisait parler ce fils. »

Faire vivre ce qui est tu à jamais, faire revivre.

«  J’ai choisi mes collaboratrices artistique Florence Cabaret et Benoîte Vandesmet qui avec leur sensibilité, leur fantaisie et leur sincérité m’ont guidée pour que l’histoire du Fils résonne encore aujourd’hui »

« J’ai beaucoup malaxé ce texte, j’en ai fait cinq adaptations, j’ai passé des heures à sentir, à attendre qu’il m’emporte au delà de sa forme initiale. » Le léger surplus. Ce supplément d’âme, et la beauté du texte : Je retourne au soleil dont je suis l’enfant, au feu dont je suis l’étincelle et la cendre, à l’éternité dont j’ai surgi pour un instant. »

Un triangle qui forme la structure du spectacle : la voix du fils, le père et la mère. Le langage comme lieu de transition, de réconfort, d’espoir inachevé.

Pour cette création la musique, est le quatrième témoin de cette mise à nu. Déchirer le voile et faire entendre du fond des ténèbres les remous de l’absence : le Kaddish de Maurice Ravel, Brian Eno, Radiohead… La musique Islandaise l’a accompagnée : Jacob Kirkegaard, Sigur Ros. Le cinquième élément de ce conte est un pays, l’Islande où se clôturera le dernier geste.

La parole du fils sans fin est comme de la lave en fusion, ça rougeoie, ça éructe, ça bouillonne, plus vivant que la vie elle même, hymne à la présence ici et maintenant. En sortant du théâtre ce jour là, dans la rue des cendres tombaient du ciel, en adéquation avec ce qui venait d’être dit sur scène, en osmose avec l’univers, Lion plus vivant que jamais.

« J’aime être traversée par quelque chose qui ne m’appartient plus. Il faut être humble, il faut être une messagère, juste une bouche qui porte la parole de Lion. » Et sur le plateau nous l’avons entendu. Merci Céline.

SZAMANKA / FABIEN HECK