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CECILE FLEURY – RAPPELLE-TOI LA LUMIERE ET CROIS LA LUMIERE

« Mon amour, ce n’est pas une lueur de ciel bleu, c’est un immense firmament que je t’aiderai à garder« . Nicolas de Staël

il faudrait pour lire ce portrait sensible sur Cécile Fleury, écouter le morceau Serpentskirt de Cocteau Twins comme une introduction à la beauté fragile, à l’éternel émerveillement, à la grâce de ce qui a été, à la lumière qui traverse les corps.

« Quand j’aborde les gens comme en ce moment, dans la rue à Avignon, pour ce festival, j’essaye de les amener doucement vers Sarah Kane…je leur dis : Est ce que je peux vous parler d’une pièce de Sarah Kane ? Je commence à parler de l’auteur, et je cherche à ne pas faire peur avec le mot suicide. 4.48 Psychose son dernier texte, ce n’est pas que ça ».

Elle a fait des études médico-sociales et découvre une certaine idée du théâtre par son compagnon de l’époque. Elle fait alors un stage et rencontre le metteur en scène Yves Penay qui va lui ouvrir tout un monde. Révélation. On est en 2002.

Elle ne vénère pas le texte de Phèdre (elle ne vénère pas en général) mais il fait partie de ses livres de chevet. Elle a un certain goût pour la tragédie.

Elle traverse les textes de Philippe Minyana, Jean-Luc Largarce, Shakespeare

Avec Yves Penay , elle découvre le festival d’Avignon en 2009 avec Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce : explosion d’émotion, découverte d’un rythme, d’une cadence bien précise…

Et puis en 2012, le ciel lui tombe dessus. « Je cherchais des textes, j’étais en attente de découverte. Je me souviens j’étais à la FNAC, j’errai, j’ai vu le livre, sa tranche, le titre, j’ai penché ma tête, ouvert le livre au hasard et je tombe sur ce passage : Parfois je me retourne et retrouve votre odeur et je ne peux pas continuer putain sans exprimer ce terrifiant ah putain cet effrayant ce blessant putain de besoin physique que j’ai de vous. Et je ne peux pas croire que je peux ressentir ça pour vous vous et que vous, vous ne ressentiez rien. Vous ne ressentez rien ? J’ai reçu ce texte comme un coup de poing… Je ne connaissais rien de l’auteur. »

Sarah Kane est une dramaturge, écrivaine Britannique. En seulement cinq pièces : Anéantis, L’amour de Phèdre, Purifiés, Manque et 4.48 Psychose elle propose un univers radical, singulier. Reconnue de son vivant, à 28 ans elle décide de mettre fin à ses jours.

En 2018, après six ans d’explorations des passages de ce texte, elle se dit « Arrête de tourner autour du pot vas-y! »

L’écriture de Sarah Kane résonne en elle. Sait-on toujours ? comprenons-nous toujours pourquoi une oeuvre d’art nous trouble infiniment? « Très rapidement, j’ai eu envie de défendre ce texte comme un cri d’amour, une ode à la vie, et non pas comme un testament, ce que je trouve plutôt réducteur. Il n’y a qu’une personne qui peut répondre à cette question c’est Sarah kane. Pour moi elle était dans une démarche de création lors de l’écriture de sa pièce, son art… Ce qu’elle a fait après ça la regarde. »

Le texte dès lors ne la quitte plus et son apprentissage sera de tous les lieux « dans la rue, dans le métro, quand il y a du bruit, l’agitation tout autour m’aide à me concentrer. Je prolonge son écriture avec mon corps, ma parole. J’absorbe, je pars de mes tripes, il y a un travail du corps. J’aurai aimé la connaître. Moi je la sens là, présente, je pense à elle et je la perçois dans un lieu précis de la scène. »

Sarah Kane

Elle a beaucoup travaillé l’équilibre entre la distance et implication émotionnelles. Il y a eu des aller-retour, c’est comme un voyage, incroyablement puissant et enrichissant. Le metteur en scène Yves Penay lui a apporté de la distance, il l’a fait travailler sur le son, le souffle, sa voix, il l’a aidé a développer viscéralement, organiquement, en accord avec son émotion des mots de Sarah Kane.

On lui demande si dans les méandres du texte, dans cet engagement total qu’il lui faut jouer tous les jours, si elle n’a pas eu peur de se perdre… »Peur de me perdre ? Jamais ! Ca me nourrit incroyablement, c’est tellement intense, c’est une chance et un honneur de transmettre sa démarche artistique…à travers ce que je suis bien sûr. Et puis je cherche toujours à m’entourer de gens en qui j’ai confiance. Je crois en ce que je fais, ça me tient. En ce moment je ne peux pas me consacrer à autre chose. »

Le créateur lumière Elias Attig a fait un travail monumental. La lumière est comme un partenaire, il a travaillé sur les ombres portées.

Et le retour du public ? Les échanges pendant et après la représentation? « Il y a des regards…Un jour un grand monsieur m’attendait à la sortie, il était incapable de s’exprimer, cela c’est passé avec son corps, il m’a juste demandé : Est-ce que je peux vous prendre dans mes bras ? Je suis touchée de toucher les gens. On se dit merci les uns les autres, c’est un échange et un partage. »

Une fois par semaine, même quand elle n’a pas de dates, elle se récite le texte, dans les rues parisiennes sur sa patinette.

On lui demande quand cessera cette promiscuité avec Sarah Kane, quand d’autres textes, d’autres auteurs viendront la happer « Sarah est toujours là. C’est comme cellulaire. Même si nos chemins un jour se sépareront, elle fait partie et fera toujours partie de moi. »

4.48 Psychose – Théâtre La Luna – Avignon – 13h20 – réservation : 04 90 86 96 28 –

Jusqu’au samedi 30 juillet 2022

Cécile Fleury

Fabien Heck/SZAMANKA