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Jean-Baptiste Artigas ET l’âme d’Albert Camus

Jean-Baptise Artigas – Photo Fabien Heck

« Chacun est un jour traversé par la mort, il décide ou non de s’en relever vivant, c’est à dire plus vivant que la vie, ce qui est un effort considérable. »

Lorette Nobécourt « L’équarrissage »

A l’origine, il y a cet adolescent, Jacques Galaup, qui reçoit des mains de Marie-Blanche son amoureuse, un petit opuscule d’Albert Camus.  Celui ci explique comment à Florence, en train de regarder l’Arno et la ville, l’auteur de La peste voit l’Algérie, le soleil… Il voit l’amour et la ville Alger, « Et quand j’ai lu ça j’ai eu envie d’aller voir ça… ». L’histoire de France s’en chargera.

JACQUES GALAUP – Photo Fabien Heck

Jacques fait ses classes et le 5 janvier 1960, il apprend la mort de Camus, en écoutant Europe numéro un.

Quinze jours après l’annonce de son décès, Jacques Galaup part faire la guerre d’Algérie et rejoindre AlgerAlbert Camus avait vécu.

C’est presque par défaut qu’il viendra ensuite au théâtre, un chemin de traverse. Il était professeur de lettres à Carcassonne « Dans le programme, on devait commenter des romans du vingtième siècle et je choisissais chaque fois un texte d’Albert Camus. Mes élèves m’ont demandé d’ouvrir un atelier théâtre et c’est ainsi qu’est venu mon goût pour le théâtre, et pour les plus beaux textes du 6e Art. »

Et puis il y a la rencontre avec l’un de ses élèves Jean-Baptiste Artigas, une amitié fidèle qui sera décisive…

Jean-Baptiste Artigas – Photo Philippe Hanula

Jean-Baptiste Artigas, à la maison faisait le clown, en classe faisait le show, dans les rues, faisait des figures avec son skate. « Séduire les filles, le plaisir de plaire… ». Et quand on lui demande pourquoi le théâtre ? « Moi je fais du théâtre parce que je faisais rire ma mère ».

Sa mère, Marie-Hélène Delon, était professeur d’histoire. Elle aimait transmettre, raconter des histoires, des heures et des heures durant. Dernièrement, il est allé voir un spectacle sur Danton « Période qu’affectionnait ma mère. Et je me disais : Merde j’ai loupé aussi quelques séances de son savoir… de ce qu’elle me donnait, m’offrait, me transmettait… » Et en quelque sorte nous voilà plongés dans La Chute, dans les remords… mais n’allons pas trop vite…

Pour l’instant, des copines lui disent : « Jean-Baptiste, comme l’an prochain tu rentres au lycée Paul Sabatier (rue Alfred de Musset…) à Carcassonne, il faut que tu rencontres Jacques Galaup, il anime un atelier théâtre. » Il passe une audition, la tirade du nez de Cyrano de Bergerac, d’Edmond Rostand, texte à la main. « Je n’avais jamais fait de théâtre, je commençais surtout l’apprentissage du piano à cette époque. Ça a été un grand massacre, il a été certainement plus séduit par mon jeu au piano… ». Puis s’en est suivie une fidélité, une amitié sincère. Jacques Galaup lui a transmis l’amour des textes littéraires. Il suivra ensuite une formation théâtrale à Toulouse, puis prendra le train pour Paris, où il suivra les cours de Jean Laurent Cochet (à qui Fabrice Lucchini doit tant…) pour travailler le répertoire classique et se confronter notamment aux alexandrins.

Il y a 22 ans, Jacques Galaup décide d’adapter L’étranger d’Albert Camus. C’est tout naturellement qu’il se tourne vers Jean-Baptiste Artigas qui a l’âge pour le rôle. « Depuis le personnage de Meursault me poursuit, m’a habité et c’est quelque chose que je n’ai jamais oublié…Tous les ans avec Jacques Galaup, on a un rituel, il organise des lectures et je suis là. Il y a deux ans, il venait de terminer l’adaptation de La chute d’Albert Camus. Et pour la première fois, c’était un monologue, j’étais seul. Lors de cette première lecture, le public a été séduit et moi même j’étais happé par le texte. Je dis toujours qu’ensuite j’ai voulu jouer cette adaptation de Jacques qui est extrêmement fidèle à la langue de Camus.« 

Voilà donc deux ans qu’il travaille ce texte. « Quelque chose est en train de se passer, qui commence à me dépasser. D’une certaine manière depuis le temps, j’ai  créé une familiarité avec la langue de Camus, ses mots, son être, son âme. »

Etrange clin d’œil, le personnage principal porte le même prénom que le sien : Jean-Baptiste « C’est assez étourdissant, c’est la première fois que ça m’arrive ». L’action principale de ce roman se passe à Amsterdam, dans un bar Le Mexico-city, un bar à matelots, dans la Zeedijk. Au loin, les sirènes hurlent sur le Zuiderzee…Il y a une rencontre… Mais à qui parle t-il ? Y a t’il seulement quelqu’un ? « J’ai voulu conserver cette ambiguïté, ouvrir les possibles par rapport à ce sujet là, cette question… ». Jean-Baptiste Artigas n’est pas seulement l’interprète, c’est aussi le metteur en scène.

Pour Jacques, Jean-Baptiste a une fois de plus l’âge du rôle, la maturité. « J’ai été extrêmement touché, qu’il passe deux jours à Amsterdam, à chercher un semblant de Mexico-city, voir et respirer le Zuiderzee et boire du genièvre…« .

Photo Philippe Hanula

Pour cette adaptation, Jacques a voulu que ce soit extrêmement dépouillé, construit comme une conversation, épuré, à l’os, sans aucun effet, rien d’élitiste. Un piano, deux chaises, un  yoyo. La fin est ouverte, le personnage, Jean-Baptiste Clamence tend un miroir à Camus qui le tend alors à un spectateur.

Lors de la fin d’une représentation à l’Atypik théâtre à Avignon, un spectateur a dit tout haut, dans la rue « Putain qu’est ce que ça fait du bien, un texte qui exalte les imparfait du subjonctif. »  Jacques Jubilait heureux de voir que des spectateurs étaient encore attentif au style.

On est surpris de voir que le principal producteur du spectacle est la mère de Jean-Baptiste Artigas. « Je l’ai perdue il y a 3 mois, ma mère n’a pas pu assister à la lecture, ni pu voir le spectacle. Avant sa disparition je lui ai proposée de m’accompagner dans ce seul en scène. Elle m’a laissé dans un élan de vie. Ma mère avait un humour fabuleux, une finesse d’esprit et de délicatesse, un œil pétillant, brillant. Elle est au cœur de ma vie… ».

Marie-Hélène et Jean-Baptiste