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Frank G. Alonso – « Cuba libre »

Oeuvre de Frank G. Alonso d’après un autoportrait de Vincent Van Gogh

« Je photographie le monde pour découvrir ce qu’il cache. »

Frank G. Alonso

Arles est la lieu de la photographie. Définitivement. En plus d’être une ville magnifique. Cet été 2020 sur lequel plane toujours la menace du coronavirus a vu nombre de grandes manifestations annulées, dont les Rencontres photographiques d’Arles.

Mais il reste fort heureusement la possibilité de visiter toutes les galeries de photos présentes à Arles à l’année et de déambuler à l’aventure. Quel émerveillement de passer d’un univers à un autre, de rencontrer des êtres charmants, passionnés par leur travail , généreux dans leur façon d’être au monde et aux autres. Passons justement la porte de l’atelier de l’un d’entre eux, Frank G. Alonso.

Avant de rencontrer Frank nous avions rencontré l’une de ses photos : un tirage réalisé à partir d’un autoportrait de Van Gogh auquel il a ajouté sa touche, une empreinte de jaune et de blanc comme un grand coup de pinceau sur la moitié du visage. Cette photo nous l’avons découverte à l’espace Van Gogh au sein d’une exposition collective -L’expo4- réunissant trois autres artistes : Bernard Raulet qui nous a chaleureusement accueillis, Christophe Kay et Mik@.G . Ce travail autour d’un autoportrait en très grand format nous a saisi, et tel un fil d’Ariane nous sommes donc remontés jusqu’à son créateur pour en savoir davantage.

Frank G. Alonso arlésien d’adoption depuis 2009 est un personnage solaire. Originaire de Cuba nous allons l’écouter avec ravissement nous raconter comment il est arrivé dans cet atelier, par quel détours incroyables dont la vie a le secret. Et nous ne sommes pas au bout de nos surprises tant le récit qu’il déroule n’a rien à envier aux récits d’aventures tel Sinbad le marin ou autres figures illustres. Comme des enfants avides de belles histoires nous l’écoutons donc nous raconter la sienne ô combien romanesque avec sa voix enveloppante, à l’accent chantant, et qui participe de la magie du récit.

Son récit commence à Cuba dont il est originaire. Il vit là jusqu’à l’âge de vingt ans environ et à l’inverse de beaucoup de ses compatriotes il ne rêve pas de partir de chez lui. Il raconte avec émotion comment des cubains tentent désespérément de quitter le pays pour trouver ailleurs un hypothétique Eldorado. Il a assisté à la détresse de ces partants aux bords d’un rivage longeant une plage, sur des embarcations de fortune, la peau brûlée par le soleil. Il restera marqué par ces images de détresse absolue, d’ultime sacrifice.  Lui à vingt ans a de l’insouciance à revendre et des envies de liberté : « les poings dans ses poches trouées » pour plagier Rimbaud. Ma bohème. Il fréquente alors des Français, il organise et fait beaucoup de fêtes… Il s’intéresse au jazz, à des cultures différentes. Et puis une rencontre va s’avérer décisive. Il croise la route de Bertrand Fèvre photographe et vidéaste qui a son atelier « Shadows » à Arles également. On doit à Bertrand Fèvre deux remarquables documentaires dont un exceptionnel sur Chet Baker et l’autre sur Etienne Daho «Tant pis pour l’Idaho ». Grâce à lui le jeune homme s’ouvre à d’autres univers, explore des dimensions plus artistiques, plus intellectuelles. C’est Bertrand qui lui met un appareil photo dans les mains. La photo plaît à Frank, il sent qu’il a des capacités alors il continue. Quand il parle de Bertrand il dit qu’il est à la fois comme « un père, un frère, un ami ». On a le sentiment en écoutant Frank qu’il suit son étoile où qu’elle le mène et l’on se dit qu’il est bien avisé de se laisser ainsi guider par elle. Apparemment une cohorte d’anges veille sur lui et plutôt qu’Alonso on le nommerait volontiers Angelo…

Tour à tour il a pensé enfant embrasser la carrière militaire comme avant lui son père, sa mère, son oncle et son grand-père qui a lutté aux côtés de Fidel Castro. Son oncle colonel voyageait beaucoup, cela fascinait l’enfant éperdu d’aventures. Adolescent il s’intéresse à la cuisine, commence des études parce que comme il dit « être cuisinier dans un grand hôtel international c’était la possibilité de vivre beaucoup de choses ». Il n’a pu mener ces études au bout mais peut-être parce qu’on l’attendait ailleurs.

A force de côtoyer des français et d’apprécier la culture européenne il décide d’aller à la découverte de la France et de l’Espagne. Il veut expérimenter la vie là-bas avant de se fixer à un endroit. Il raconte qu’arrivé à Paris ou à Madrid il se sent chez lui aussi. Frank a cette capacité là de se sentir partout chez lui et elle est rare.

Après la photo l’accompagne, il en fait son métier, elle fait partie de lui. C’est sa compagne de route avec qui il partage toutes ses tribulations, ses chavirements, ses émotions. Il s’est pourtant essayé aussi au cinéma puisqu’il a croisé la route de Pedro Almodovar dont il a été l’un des techniciens vidéo pour le film « Parle avec elle ». Mais même si l’expérience lui a plu il dit que ce milieu est particulier et surtout qu’il ne voulait pas être toute sa vie au service de quelqu’un d’autre comme technicien, assistant réalisateur ou caméraman. Lui il voulait être libre, créateur à part entière. Et avec son boîtier photo on est seul maître à bord. La photo le lui a bien rendu. Compagne fidèle et généreuse elle lui a toujours permis de bien vivre. D’années passées en Thaïlande au retour en Europe il s’en est toujours très bien sorti grâce à elle. Frank a le don de percevoir et de proposer ce qui va plaire à un moment donné, mélange de chance, d’intuition et de génie aussi.

Ainsi quand il revient en Europe à Madrid suite à une histoire personnelle compliquée après des années fastes en Thaïlande, il n’a plus rien. Par instinct il propose son travail au décorateur d’un grand hôtel qui expose des artistes. Mais il ne sait pas se vendre, c’est un artiste. Le décorateur séduit par son travail lui demande combien il en veut,  il répond « Je te l’offre » heureux de voir son travail reconnu. Face à l’insistance de son honnête interlocuteur il finit par donner un prix. Il recevra le double. Dans la foulée il obtient un emploi de serveur. Arrivé à Madrid sans rien en poche, il est sauvé en quelques heures. Des anges veillent sur lui je vous dis…

Après Madrid et quelque détours ses pas le conduisent à Arles en 2009 où il rejoint son ami Bertrand Fèvre. Il traverse alors une période un peu compliquée, la vie le fait tanguer. Sa photo à ce moment là en témoigne. Il est attiré par des personnes, des scènes, des rues ou se jouent le théâtre de la misère, longue cohorte des douleurs humaines. Ces images de tristesse reflètent son propre état intérieur mais ça il mettra du temps à le comprendre. Il lui faudra faire un travail sur lui, se libérer de ses émotions de douleur pour accéder à nouveau à la lumière, au soleil, à la couleur. Un fois encore ce geste libérateur est présent dans son oeuvre. Il sait désormais, une fois défait de ses tourments, que sa photo le reflète et inversement.

 Je reviens avec lui sur ce travail saisissant autour de Van Gogh, lui demande comment ça lui est venu. Il me dit qu’en arrivant à Arles il a cherché comment gagner sa vie avec quelque chose de commercial. Depuis longtemps il s’intéressait à Van Gogh, pas tant pour sa peinture que pour ses autoportraits. Il raconte « J’ai quelque chose avec Van Gogh, je sais pas l’expliquer…c’est une question de vibration, d’énergie…quelque chose comme une obsession… » . Et donc il crée autour du visage du peintre une oeuvre à la fois très personnelle et immédiatement reconnaissable tant ces autoportraits sont dupliqués à l’infini. Mais Frank G. Alonso n’est pas un opportuniste, il se saisit seulement des éléments, de la vie autour de lui grâce à une façon rare d’être au monde, une forme d’hypersensibilité. Lorsque je lui demande pourquoi il ne propose pas ce travail à la Fondation Van Gogh ou à la ville d’Arles il a cette réponse incroyable avec un sourire désarmant « Quand ces oeuvres devront sortir de l’atelier elles en sortiront…c’est comme ça. Je ne peux pas l’expliquer ». Et on le croit instantanément, sa sincérité ne faisant aucun doute. Ses oeuvres ont une vie en propre, elles lui font la grâce d’être à ses côtés, il sait s’effacer pour les mettre en avant et accepter qu’elles le conduisent ailleurs, pour le meilleur. Et à l’entendre évoquer son parcours on ne peut qu’y souscrire. Frank aura cette phrase en parlant de ses collaborations avec d’autres photographes dont il fait les tirages « il ne faut pas avoir peur d’aller chercher les émotions ». Manifestement Frank G. Alonso n’a plus peur d’elles et ses photos sont là pour restituer une grande part de la beauté du monde qui passe dans son regard de photographe. 

« Il tutoyait les anges ce garçon et pourtant il n’avait l’air de rien… ».

Voyage au bout de la nuit. L.F Céline

Marie Frétillière

Et pour aller plus loin dans la découverte de l’univers de Frank G. Alonso :

Atelier Alonso

5 rue de Grille

13200 ARLES

www.atelieralonso.com

info@fgalonso.com

instagram : frankgalonso