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GIL RIGOULET – SOCIAL LIFE

Je connaissais son travail sans le connaître, tout d’abord des souvenirs dans des magazines photographiques, des corps dans une piscine puis récemment attiré par la couverture du livre du chanteur et romancier Joseph d’Anvers « Juste une balle perdue ».

C’est à Arles que la rencontre a lieu, temple de la photographie en France, au coeur de cet été 2020 si particulier, atrophié, expos annulées…dans cet état de drôle de vie. Comme à Avignon privé de son festival de théâtre et ses rues désertées, ici une résistance s’impose et des galeries ouvrent leurs portes. On rencontre Gil Rigoulet dans l’une d’entre elles. Il présente : Le Corps et l’Eau (depuis 1984 / N&B et Polaroïd) et ses deux invitées : Polaroïd – de Mathilde Deer, histoires intimes, série noir et blanc, et Paysages Intérieursde Aurélie Kahn, série réalisée au Japon.

Je découvre et redécouvre l’univers de Gil Rigoulet. Son débit est rapide, les mots s’accumulent à une vitesse folle. C’est son rythme, sa façon d’être dans la vie. Rapide et précis.

Gil Rigoulet – Autoportrait

 Né en 1955, son père est pâtissier à Evreux. L’adolescent se passionne pour la peinture, le dessin et fréquente une école d’art. Il passe des concours d’entrée mais il est toujours refusé. La cause : la reproduction des couleurs… : « Je le savais pas mais j’étais daltonien… ». Tout se referme.

Ensuite il tente une école de commerce mais il n’y reste que quelques mois, juste le temps de mettre en application les cours, un peu de business, de quoi avoir suffisamment d’argent pour s’acheter un appareil photo…

Auparavant il avait piqué l’appareil de son père à 17 ans et fait un premier voyage initiatique au Danemark en stop.

Le goût de l’ailleurs l’amène à Perpignan en 75-76. « C’était une période extrêmement politisée, dans le monde ça secouait, ça rentrait dedans. Quelle était la place de l’humain dans la société ? C’était une vague mondiale, on était dans le monde, mais quels choix on fait ? qu’est-ce qu’on en fait ? »

C’est durant cette période que l’ensemble de son travail va se mettre en place, avec ces questions qui l’obsèdent. « On subit les choses sans trop le savoir, comme tout le monde par mimétisme. Ce qui me tourmente ?  Comment l’homme est détourné de sa vocation première dans cette société qui le bouscule, qui le rend consommateur de tout, dans cette dynamique folle. Le milieu que je fréquentais, était un peu brutal, ça rentrait dans le chou à l’époque, c’était une vague mondiale qui terrassait la société. On était pris là- dedans et c’est toujours extrêmement présent dans ma pensée. Finalement aujourd’hui rien n’a changé, c’est pire… »

En 77-78 direction l’Angleterre, let’s go to the Reading festival, créé en 1971 dans cette ville située dans le Berkshire dans la vallée de la Tamise. 

Ces années là vous auriez pu voir sur scène : Aerosmith, The Jam, Ultravox, Status quo ou Patti Smith. Vous voulez voir des photos uniques de ces artistes prises par Gil Rigoulet? Vous n’en verrez pas. Pourquoi? Parce qu’il y en a pas. Et pourquoi? Parce que, ce qui intéresse Gil Rigoulet (même s’il écoute beaucoup de musique et est très érudit) c’est le coté social. Donc vous ne verrez que le public : « Un mec est à terre, tout le monde regarde, il se prend vraiment des coups de lattes, puis tout s’arrête et ils regardent à nouveau le concert. Je voulais comprendre, c’est quoi leurs croyances? Tout le monde vivait ses croyances. Leur panoplie? Leur rage, leurs espoirs, leurs amours, la vie quoi... »

Il va ensuite dans la banlieue de Londres, à Notting Hill, dans ses quartiers, ses squats. La dope y circulait férocement. Mais toutes ces premières photos, à l’origine, ne sont que pour lui.

Il retourne à Evreux, il rencontre un pote sur un terrain de sport, qui lui propose de s’occuper pour un journal local d’une partie de la rubrique sport. Il prend des photos, il a son labo pour développer ses tirages. 

Il réalise une série sur les rockabilly. Cette mouvance, il la trouve à travers une bande en province. Il les suit pendant cinq mois, chez eux, quand ils se déplacent, quand ils prennent de l’essence, achètent des bières : « Je me souviens il se doublaient sur la route pour se passer les bières de fenêtres à fenêtres, c’était énorme… ». Cette série unique fera le  tour du monde. 

L’aspect social est au centre de son travail. Il monte ensuite à Paris, présenter son travail. Le journal Le monde commence à introduire des photos dans ces suppléments. Il devient alors leur premier photographe attitré. Puis à travers le temps il travaillera pour différents journaux et magazines français et étrangers. Il voyagera autour du monde.

Pendant ces périples, il réalise des photos de commande mais en parallèle prépare des projets perso de Street Photography : « Photos de rue, grande proximité. Restituer une expression sociale et sensible liée à une culture picturale, à travers la culture de représentation, la peinture…j’aime être au coeur des choses, ma zone de travail c’est 1m50 tout autour de moi. Dans mon approche de la photographie, je me sens graphiste… »

L’élément qui rend unique son travail est sans doute son attachement à ce côté social et son rapport à l’eau, la mer. Le miracle aura lieu à la Piscine Molitor. Située dans le 16ème arrondissement de Paris, Johnny Weissmuller (le fameux Tarzan) quintuple médaillé Olympique, y officiera en tant que maître-nageur durant l’été 1929.

 « J’adore nager, mon père faisait des apnées, traversait le bassin. A l’époque j’avais un Nikon. J’ai commencé sur tout le pourtour de la piscine de la ville d’ Evreux en 1984 et en 1985 j’ai débarqué à la piscine Molitor, à Paris, le rêve. C’était l’époque des piscines plaisir. On y passait la moitié de la journée, on draguait, on se faisait bronzer. La vie quoi, c’était léger. Rien à voir avec le contexte actuel. Dans le bassin, à l’époque personne n’avait de téléphone. Je n’étais pas perçu comme un voyeur, étant le seul avec un appareil photo. J’étais considéré comme un journaliste, un artiste. Je me fondais dans la masse, certaines femmes avaient les seins nus, j’étais tellement près des gens qu’ils ne pouvaient pas ne pas me voir. Je ne suis pas un paparazzi, je ne me planque pas avec un zoom pour shooter au loin. Ça ne correspond absolument pas à mon tempérament. Moi je suis proche des gens, d’une certaine manière je suis avec eux. Maintenant avec le droit à l’image, tout ça est devenu problématique, en tout cas dans les piscines c’est devenu impossible. »

Piscine Molitor. Eté 85. Paris 16ème. © Gil Rigoulet

Son obsession de l’univers de la piscine est devenu mondial. Et durant toutes ces années à traverser le monde, il trouvait toujours le temps. Il avait toujours un maillot de bain à portée de main, et demandait dans des hôtels où se situait la piscine la plus proche. 

« J’ai fait aussi des photos sous l’eau grâce à un appareil qu’on m’avait prêté.» En 1986 il est invité à l’expo graphique et puissante :  « Vivre en maillot de bain» à la piscine Deligny, avec Joseph Koudelka, William Klein, Helmut Newton, Jean Loup Sieff, Jacques-Henri Lartiguerien que les noms donnent le tournis…Une fierté, une forme de consécration, de validation de mon travail, de ma personnalité, ça m’a fait beaucoup de bien et  m’a forcément encouragé à creuser mon univers. »

En 2014 lors de la réouverture de la piscine Molitor, qui devient en même temps un complexe hôtelier de grand standing, il montre à la direction ses photos. « Ils sont restés abasourdis, j’étais devenu sans le savoir la mémoire de ce lieu, l’archiviste de ces moments de vie à une période précise. Ils ont acheté une dizaine de photos qui sont exposées et certaines sur plus de deux mètres. »

Il est aussi un grand fan du Polaroïd, un retour vers le futur, clin d’oeil aux années 80.

Bien qu’il expérimente différentes formes, plusieurs aspects des possibilités  techniques de son métier…ce qui le passionnera toujours, ce n’est pas le moment présent mais la seconde présente. Et rater un instant qu’il a vu advenir et disparaître le met dans une rage infinie : « en Street Photography il n’y a pas plus rapide que moi. Je suis Lucky Luke dans ces moments là, ça dure rien, un courant d’air, extrêmement fluide, pas vu pas pris. Dernièrement à Londres je vois une fille qui sort d’un immeuble avec sa copine. Je pressens les choses, il y a une attitude, quelque chose de fort, je prends une photo. Et puis je regarde ailleurs et le temps de revenir à elles la fille frappe en s’amusant sur les fesses de sa copine. Il y a eu un moment de joie, de jubilation, d’une connivence entre ses deux filles et j’ai pas saisi ce moment. Je m’en veux encore. »

© Gil Rigoulet / Londres 1983

SZAMANKA