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SOPHIE DEGANO – AMAZONE RÉSISTANTE

Photo de Sophie Degano par Alex Lanieris

On la voit comme une amazone, une guerrière.  « Oui ? Peut-être, je ne sais pas… ». Parler d’elle à travers son travail n’est pas un exercice facile. Et des « Oui ? Peut-être, je ne sais pas… ». Il y en aura beaucoup pendant l’entretien. Surtout assis dans une cuisine, entouré d’œuvres imposantes ou délicates quand le corps est en inertie et qu’il contrôle la pensée.  

En revanche dans son atelier, en mouvement, à la voir déployer tel un éventail l’étendue de son travail on est ébahi. La parole s’emballe. On s’étonne d’une telle diversité. Sophie Degano n’est pas le genre d’artiste à reproduire sans fin le même geste artistique. Il  faut avoir eu la chance de pénétrer dans son atelier, sous les toits, pour découvrir l’ampleur de son travail. La somme de documents, objets, projets réalisés ou à venir, très éloignés les uns des autres dans leur forme même si le fond lui reste le même : LA FEMME. 

 « J’essaye de ne pas me poser de question tout le temps, je fais. J’avance comme ça. Je vis le moment présent. »

Elle aime dire qu’elle s’est faite toute seule. Même si on père aimait bien peindre et avait intégré une école de mosaïque en Italie. Il jouait du piano, de la guitare…

A l’adolescence elle est happée par la philosophie, la lecture, la poésie, les questions humaines. Elle s’oriente vers des études littéraires mais « J’étais à un croisement de ma courte existence, je devais prendre une direction…J’aurais adoré travailler dans une grande bibliothèque avec plein de livres. Mais si j’avais fait ça il m’aurait manqué quelque chose. »  

Et cet « autre chose » elle ira tout d’abord le chercher à l’Ecole du Louvre :  « J’avais très envie de créer avec les mainsPuis je voulais à nouveau découvrir autre chose, je me suis écoutée et je suis partie étudier le verre en Angleterre.» Apprendre à sabler, souffler, sculpter, graver le verre. « J’ai travaillé comme une dingue, j’ai dessiné, je parlais constamment anglais, j’étais la seule française et tous les cours étaient en anglais… » 

De retour en France, elle partage un atelier avec un souffleur de verre, participe à la construction d’un four et se tourne vers la sculpture, la pâte de verre, la peinture sur verre, l’envie de passer à autre chose.

Constamment elle passe à autre chose. Elle cherche, suit son instinct. Avec la naissance de ses enfants, la peinture à l’huile prend le dessus. 

« Avoir un enfant en bas âge change ton rythme de vie. Il faut s’adapter, surtout quand tu es une femme, que tu es beaucoup sollicitée et qu’il faut répondre rapidement à leurs demandes. Alors tu peux laisser la peinture « en attente ». Tu peux reprendre facilement toutes les couches, les sous couches. C’étaient aussi des thématiques que j’explorais, les choix, les liens, gratter en dessous la peau pour faire apparaître tous ces choix, tout ces non dits. » 

Dans son atelier il y a différents projets en cours. Souvent interrompue dans son travail elle a pris l’habitude de laisser les œuvres en suspens. Mais elle parvient à retrouver tout de suite la sensation qui l’habitait.

Même si le travail d’artiste peut isoler, son travail passe par le désir de l’autre, elle est forcément dans le partage. Pas tourné vers elle. Elle questionne, cherche à comprendre, à faire réfléchir. Elle participe volontiers à des ateliers pour rencontrer, connaître l’autre.

Même si son travail passe d’une question à une autre il y a comme un fil rouge qui la guiderait. 

« J’ai besoin de ces questionnements. C’est une forme d’engagement, l’art aujourd’hui, en tout cas je le vois comme ça, on en a besoin surtout de nos jours. Tu fais apparaître des choses, des réponses, une forme de compréhension, de réflexion. Quand tu lis une oeuvre . » 

Cet amour des livres, des mots est très présent chez elle. Il y en a partout. Cela l’inspire ou l’oriente dans un travail à venir. « Quand je rentre dans une librairie, je me laisse guider. J’ai des livres qui m’intéressent, mais je les laisse parfois de côté.  Je suis dans une autre énergie, j’y reviendrai plus tard. »

« Par exemple le projet Grâce à elles a nécessité deux ans de documentation.  Cétait très long, beaucoup de relecture pour ne pas me tromper dans mes recherches. Grâce à elles c’est 60 portraits de femmes pour mettre en lumière leur engagement dans l’Histoire.« 

« J’ai utilisé la technique de la gravure sur linoléum pour un trait moelleux,  un rendu souple mais puissant. Le graphisme est épuré, pour ne mettre en avant que l’essentiel c’est à dire leur force, leur détermination, mais aussi leur douceur. Le choix du noir et du blanc est un hommage à toutes ces femmes. Les grands aplats de noir représentent leurs combats. La feuille blanche  l’horizon qu’elles s’offrent. »

On se prend à rêver ou plutôt espérer que ces portraits de femmes extraordinaires très souvent méconnues qui ont changé en mieux le cours des choses et transformé la condition féminine, soient dans un futur proche enseignés dans les écoles. Que leur contribution essentielle soit enfin reconnue. Aux côtés des hommes qui ont fait l’Histoire. A égalité…

Pour About love, « J’ai lu beaucoup de poésie, écouté beaucoup de témoignages. ABOUT LOVE est un projet poétique autour des histoires d’amour, mélangeant écriture, dessin, pastels (grands formats), collage, cabinet de curiosités et créations sonores. »

Les femmes en noir

 « Après un documentaire sur les violences faites aux femmes en Syrie, utilisées comme arme de guerre, j’étais dans un tel état. Je me suis installée et d’un coup, ça a jailli, en noir, c’était  très instinctif, une fois que c’est fini je peux pas revenir dessus. Si c’est raté, c’est raté.

Ces encres de chine sur toile de jute portent un regard sur les femmes qui fuient un mari, une maison, la guerre, la dictature d’un pays.

La toile est laissée libre sans encadrement, pour signifier la fuite, l’urgence, quand on emporte que le strict nécessaire.« 

Transmissions/transgression « Je me suis entretenue avec des résident.e.s autour de cette thématique et j’ai retranscrit leur parole dans un Livre Objet qui associe l’écriture, au dessin, à la gravure, au collage…. « ​

« Exposer la parole des personnes « invisibles », c’est leur redonner une place au sein même de la société. En 2019 je suis allée dans des Centres d’Hébergement d’Urgence. J’y ai rencontré des hommes et des femmes toujours sur la thématique de la Transmission/Transgression. Le livre Objet qui est en cours de réalisation sera présenté par l’UBO de Brest et la Médiathèque Saint Marc en mars/avril 2021. » Les éditions Ex-Voto éditent le Livre Objet de l’Ehpad et celui des Centres d’hébergement d’Urgence dans un même ouvrage. Parution en mars 2021.

CABINET DE CURIOSITÉS PROIES ET PRÉDATEURS

« Sous la forme d’un cabinet de curiosités, j’interroge la prise de pouvoir d’un groupe et/ou d’une personne sur un/une autre. Ce pouvoir peut être politique, amoureux, religieux, financier…et le schéma reste le même, celui d’une personne ou d’un groupe en demande face à un autre qui décide pour lui/elle.« 

Dans son travail il y a toujours une forme de spiritualité. Quelque soit la forme. L’écriture a gagné aussi son univers et y est de plus en plus présente. Dernière exploration l’espace sonore avec la réalisation de Podcast.

Actuellement elle se concentre sur la réalisation d’une oeuvre autour de Leonard Cohen pour le projet Who by fire & heart – MEMORY. Un portrait dans l’esprit de Grâce à elles, qui se transformerait en pochoir et irait se faire immortaliser sur des murs autour du monde à Paris, Berlin, Sarajevo…

Dans quelques mois aux beaux jours elle rejoindra le comédien Redjep Mitrovitsa, pour un échange lecture – peinture en live. Autour d’un frère et tiens, tiens, d’une femme, sa soeur. Paul et Camille Claudel. Hâte de voir en mouvement Sophie Degano. Amazone rebelle.

https://www.sophie-degano.com

SZAMANKA