Musique

LETIZIA GIUNTINI – VOICI MON COEUR C’EST UN BON COEUR

Il est parfois des petits miracles. Juste avant de partir en Corse, après avoir  écouté en boucle avec mon petit garçon la chanson de Arnold TurboustMademoiselle Adélaïde – je fais un petit tour sur la page Facebook de Benjamin Minimum (le parolier) et découvre la vidéo d’une chanteuse, dans une chapelle : Letizia Giuntini.

Née à Clichy sous bois, puis un petit tour à Montreuil. Elle a vécu entouré d’un vrai brassage ethnique, des Turcs, des Maliens, des Juifs…

Son père avait quitté la Corse. « Si tu faisais autre chose que berger alors tu partais. C’était la diaspora. Après la deuxième guerre mondiale, il n’y avait plus d’hommes entre 17 ans et 50 ans, la misère…Il y a eu la politique de la « main tendue » pour leur trouver du travail sur le continent et en Corse la politique du tourisme. »

Elle est revenue vivre à l’âge de 8 ans à Lumio. Il restait la maison de famille. Ici il y avait une communauté, tout le monde se connaissait . «On revenait à la maison -Toi tu es une Giuntini -Rien qu’à mon physique les gens savaient de quelle famille j’étais.»

Son grand-père était berger, fils de berger…

Son père après la banlieue parisienne est resté en Bretagne. Il disait c’est une parenthèse, mais il n’est pas rentré…

Sa mère, Michelle, est née dans un village à Maillé (Indre-et-Loire). Le 25 août 1944 les allemands massacrent les habitants. 130 morts. Comme à Oradour sur Glane…Un oncle survivant.

Sa mère est adoptée par une tante, et fera des allers-retours entre Nice et la Belgique.… 

Ses parents se rencontrent à Nice au rendez-vous du Parti Communiste. Sa mère sera institutrice pendant 23 ans en région parisienne. Puis poussée par ses fils, la mère et les enfants reviennent en Corse. Elle deviendra orthophoniste pendant 15 ans. Elle fera des déplacements jusqu’à 1h autour de Lumio. Comme elle comprend le latin, même racine que la langue Corse, elle apprend vite et se sent chez elle. Michelle est une femme engagée, qui a des convictions, une humaniste. C’est une mère courage.

« Ma mère elle lit un livre par jour, partout. Ma mère elle mange des livres autant que je les délaisse, c’est pas mon truc…je préfère lire les étoiles… »

Il y a de ça aussi en Letizia cet engagement. La manière de la voir appréhender la vie, son corps quand il se déplace, bien ancré, solide, toujours en fusion. Elle s’engage dans la vie et malgré l’apparence d’une citadelle imprenable, sous l’armure, la carapace, il y a un coeur et comme le titre d’une chorégraphie du danseur Thierry Thieû Niang : Voici mon coeur c’est un bon coeur.

La demoiselle chante, mais le chant est une tradition culturelle, très présent en Corse, surtout dans la région de la Balagne. « Quand j’étais au collège, pratiquement tous les profs étaient aussi musiciens ». A 12 ans elle s’y met sérieusement.

Quand on évoque le côté sacré, les images qui nous viennent ce sont souvent des chanteurs ou chanteuses dans des églises. « On chante beaucoup en harmonie. Ici peu de salles de spectacle donc ça se passe dans des églises. Le chant Corse est inscrit au patrimoine de l’Unesco. »

Elle passe le bac, fait des études littéraires, puis se spécialise pour devenir professeur d’italien. Elle ne veut pas prendre le risque de quitter l’île pour la banlieue Parisienne et ne jamais revenir…

Elle se lance alors puisqu’elle ressent profondément l’artiste qui vit en elle, pendant 10 ans, en créant le groupe Isulatine. A cappella et des tournées autour du monde, et puis soudain en Espagne, elle a l’impression d’être un pion : «Tu prends une douche, tu chantes, tu dors, tu repars et tu vois rien et hop c’est reparti, tu reprends un avion…J’en pouvais plus, tout ceci n’avait plus de sens pourtant j’en vivais très bien. Il y avait aussi tous ces déplacements en avion qui ne correspondaient pas à ma vision éthique de respecter la nature ». Alors naîtle besoin de retourner à l’essentiel.

Il y a sept ans, elle décide de devenir bergère, elle va dans des élevages, passe du temps, appelle les anciens, apprend sur le tas.

Sur ses terres ancestrales à Lumio près de Calvi, ses chèvres vont sur la montagne, sur les crêtes. Letizia habite à coté de la bergerie, elle les accompagne le matin pour les diriger et le soir elles reviennent. C’est un élevage extensif, pas de transhumance. « Ici je fais à l’inverse du continent. La lactation commence début novembre jusqu’à fin juin. »

Avec ses chèvres, cela passe par le regard et la voix. « On se regarde, on se comprend. Je chante avec elles. Je fais tout à la voix.» Son rapport avec les chèvres c’est un ancrage. Pas de légèreté. Elle décrit un morceau- Le chevreau sacrifié (Caprettu sacrificatu) – Elle entonne un passage bien évidement en Corse…

« Ma chèvre s’endort, sa tête  s’incline, je suis assise par terre, mon monde s’est arrêté et un petit vent traversant les siècles m’amène ce parfum antique de bergerie. » 

C’est magnifique, on se sent privilégié, cet instant n’a pas de prix… un ange passe…Cette chanson qui rend hommage aux exploitations à taille humaine, à l’écoute, dans le respect de l’animal.

Elle a aussi créé une petite fromagerie, livre les fromages. C’est une activité qui lui laisse du temps pour donner des cours de chant, à la confrérie. Dans la confrérie autrefois les seigneurs n’avaient pas le droit d’entrer. Elle se sent bien dans cette notion de partage, de passage de témoin.

Elle n’abandonne pas les concerts pour autant. Il y a quatre ans sortait Cuccata, le fil c’est l’amour (les éléments, la terre, les sentiments). Son frère Frédéric a participé à l’album et même écrit un titre U valsarellu.

« Je me dis jamais il faut que je m’y mette, mais oh la la quand ça vient, vite un crayon et tu écoutes au fond de toi. Ça vient de quelque part je sais pas d’où, un cadeau que tu transmets aux autres. Il y a des chansons vraiment de mon histoire personnelle, c’est écrit, travaillé et retravaillé. Eviter l’interprétation, que ça soit le plus libre possible pour celui qui l’écoute. Je prends la guitare, un peu obligée, pour m’accompagner au chant. »

Quand on lui demande –Qu’est qui se passe quand tu chantes?- « Je suis sois dans le magma soit dans la terre ou l’atmosphère ça dépend… je me connecte. Quand je chante en Corse c’est assez onirique. En français c’est plus réaliste. J’aime être traversée par les émotions, les laisser passer à l’intérieur de moi. Ce qui vient et s’en va…».

Lors d’une émission de radio on lui pose la question:  –Quel serait votre rêve?- Et spontanément elle répond : « jouer avec un orchestre. » Et c’est arrivé ! «Il y a quelque chose que j’attendais au fond de moi, que je ressentais. Et puis on m’a appelé pour me proposer de chanter avec un orchestre de violoncelles dans le cadre d’un festival. Il y avait une puissance, une intensité, j’étais entourée par les bonnes personnes. Il devrait y avoir un projet d’album. C’est ce que j’aime, l’authenticité dans ce qu’elle a de plus pur.»

Elle refuse beaucoup de dates en solo malgré des destinations prestigieuses : l’Angleterre, le Québec…mais par contre avec l’orchestre de violoncelles elle repartirait au bout du monde. Un album est d’ailleurs en préparation et on a hâte d’entendre le résultat.

Elle joue aussi dans un trio, Tintenne, avec Anne-Lise Herrera au violoncelle et Marjorie Maestracci (dont nous avons fait un portrait sensible) aux percussions.

Et puis il y a une certaine évolution en Corse, pas partout, mais dans les régions touristiques comme à côté de Calvi où elle vit à Lumio. Des étrangers achètent du terrain, accaparent les terres et réduisent l’espace de liberté des paysans, son espace de liberté à elle et à ses animaux. Son arrière-arrière-grand-mère travaillait l’olivier sur ces terres. Son grand-père y était berger, Capraghju. Elle est en colère de cette dépossession et songe à partir un peu plus loin avec une amie, ajouter à ses activités du maraîchage, des vergers. Trouver un lieu apte à accueillir leurs nobles projets sans compromis. 

Quand elle part de notre entretien on sait que pour des raisons sanitaires on ne la verra pas chanter dans la chapelle.  Mais nous reviendrons pour vivre ce moment particulier puisqu’il faut monter, dans ce petit hameau délabré, ou seule tient debout encore la chapelle. 

On repense aussi à ces choses secrètes que, pudique, Letizia n’a pas exprimées complètement. Quand on lui demande -A quoi ça sert finalement depuis tout ce temps de chanter?- «Ça m’a permis de pouvoir prendre mon père dans mes bras.» 

Et c’est déjà tout un territoire en soi…

SZAMANKA