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NICOLAS COMMENT – UNE CERTAINE IDÉE DE LA BEAUTÉ

Photo ©Linda Tuloup

« Il me semblait qu’on n’avait encore rien fait avec « la vie » : ce qu’on appelle vivre, me disais-je, est employé à des besognes sans éclat ; pour qu’une vie ait vraiment lieu, il faut qu’elle se soulève, que chacune des sensations qui la nourrit conteste l’emploi qu’on fait d’elle, que le langage qui l’accompagne ne se satisfasse pas des formes qu’on lui donne, mais qu’il invente son propre élargissement. Vivre appelle des puissances inouïes qui révèle à chaque instant son luxe, et la liberté d’aimer sans freins. » Evoluer parmi les avalanchesYannick Haenel

Nicolas et Milo / Photo ©Nicolas Comment

Quand on rencontre Nicolas Comment, il a un petit air de Ian McCulloch, le chanteur de Echo and the Bunnymen, mieux encore il semble sortir d’un film d’ Éric Rohmer. Plus précisément de prolonger le personnage interprété par Melvil Poupaud, Gaspard dans Conte d’été. Nonchalant, décalé, émotif, sensible, toujours dans une valse hésitation. Ça tangue. Ça chavire. Ça dérive. Son phrasé est pourtant précis, étiré, parfois étouffé et doux. Il est ici. Il est ailleurs.

L’été sans fin, qui pour lui commence à Mâcon. Son père joue de la flûte traversière. Lui fera partie d’une fanfare, spécialité trompette avant de recevoir une guitare en cadeau.

Vers 8/9 ans, grâce à un ami dont la mère est gardienne d’une bibliothèque, ils errent entre les rayonnages lorsque les portes sont fermées au public, seuls, à l’aventure. Nicolas pioche alors au hasard, observe longuement les pochettes de disques, découvre dans les bacs des trésors (Neil Young, John Cale…) et commence ainsi son éducation musicale.

Vers la sixième, souvent, il téléphone à une radio pour demander de passer une chanson, il l’enregistre sur un magnéto-cassette. Puis quelques minutes plus tard, retéléphone en changeant sa voix,  pour demander à nouveau une autre chanson…

Et puis il y a aussi les colonies de vacances, les premières amours et les moniteurs qui lui font découvrir le reggae.

Au collège, création d’un trio rock (un peu punk) basse-guitare-batterie. Dans un coin de sa mémoire pendant l’entretien, apparait un visage, celui d’un intervenant rencontré lors d’un stage 8 pistes. Dominic Sonic. Silence…

C’est à Lyon alors qu’il est étudiant aux beaux-arts qu’il découvre les films de Andy Wharhol, Bresson

A la Fnac, où l’adolescent a laissé place au jeune adulte, il écoute des disques au casque. En déambulant dans d’autres rayons il va être attiré par de petit livres de photographie. Et là c’est la révélation. Il découvre qu’il est possible d’associer photos et textes et qu’être photographe ce n’est pas seulement exposer dans des musées/galeries. Cela peut être aussi un objet livre de petit format où l’on peut introduire de la littérature comme un romancier. Raymond Depardon et Bernard Plossu seront ses modèles : « L’idée qu’une photo puisque s’exprimer par le livre. Comme une chanson d’auteur. »

« Pour mon premier appareil photo, je me posais beaucoup de questions. J’ai beaucoup lu, fait des recherches, mais que choisir ? Et puis une amie a récupéré l’adresse de Bernard Plossu. J’étais aux beaux-arts et à la fac, je faisais un travail de recherche, j’ai écrit un texte sur lui. Je lui ai envoyé une carte postale pour lui faire part de mes préoccupations ; il m’a répondu. Je suis allé le voir dans le sud, dans sa maison. Depuis on ne s’est jamais quittés, on s’écrit toutes les semaines… » Il rencontre un maître et un ami, comme François Truffaut avec Jean-Pierre Léaud, comme François Dupeyron avec Eric Caravaca, comme Chet Baker avec Bertrand Fèvre.

Bernard Plossu lui dit : « En technique ne te pose pas de questions, pas de flash, juste un objectif 50 mm… ». « Ça m’a complètement libéré. Je ne recadre pas mes images. Pas de flash, pas d’effet, rien. En 2017, nous avons exposé tous les deux, lui en noir et blanc et moi en couleur : Identification d’une ville. J’étais fier et très ému. »

Moments suspendus : conversation entre Bernard Plossu et Nicolas Comment

Ses photos sont très personnelles, un journal de bord, comme dans « Journal à rebours« .

il consigne ses émotions, son regard sur les petites choses qui nous entourent, précieuses, éphémères, pour tenter de saisir ce qui va disparaître. « Je me laisse imbiber, j’ai l’esprit d’un photographe de rue : je suis silencieux et j’observe… le jour ou ma mère meurt, j’ai fait un autoportrait« .

Photo ©Nicolas Comment

Je lui dit que son travail me fait penser à celui de la cinéaste Chantal Akerman. Grâce à sa rencontre avec Patrick Le Bescont, directeur des Éditions Filigranes, qui l’éditera, où il fera ses gammes à partir de 2001, il rencontre André S. Labarthe, critique de cinéma. Il lui demandera un texte d’introduction pour un de ses livres. Ce même jour, rentre dans le bureau une femme. André S.Labarthe lui montre alors son travail: « Tiens Chantal je te présente Nicolas… » Elle regarde et elle dit : « c’est vraiment bien; il y a un peu un côté Lynchéen... « .

Il croisera artistiquement et personnellement aussi la route de Jacques Higelin, Rodolphe Burger et Yves Simon

La musique cheminera en parallèle de la photo. En 2010  » Nous étions Dieu « , en 2012  » Retrouvailles « . En 2015  » Rose planète  » en compagnie d’Eric Elvis Simonet, comme dernièrement avec  » Nouveau « .

Pour « Nouveau« , c’est par le biais de Arthur Rimbaud, qu’il découvre un autre poète Germain Nouveau qui partagera aussi la route de Paul Verlaine. Littéralement sous le charme, il décide alors de conjuguer ses deux passions image et musique. Et délivre avec « Nouveau » évidemment une oeuvre iconoclaste, tendue vers le beau. « Vous de qui les yeux croient tenir un astre éclos dans l’avenir… » chante-t-il dans « Les chercheurs » et nous assène le coup de grâce dans ce morceau »Sans verte étoile » comme une assomption vertigineuse :  » Sans verte étoile au ciel, ni nébuleuse blanche, Sur je ne sais quel Styx morne, au centre de l’O Magnifique qui vibre… ».

Plus vraiment d’actualité, surtout lorsque notre État, laboure avec mépris ce qui fait sens : ici la grâce, l’ébauche de la délicatesse qui trouvent son apogée dans le livret qui accompagne ce magnifique 33 tours. Photos prises dans le Var à la recherche de traces de Germain Nouveau. Fasciné par les notes de pochettes, il demande alors un texte qui deviendra la préface par l’écrivain et ami Yannick HaenelLe point caché « A la fin, parler ou se taire coïncident dans l’amour. Ce moment où l’on défaille entre les bras d’un être qu’on adore, rien n’est plus charnel, mais dites-moi si ce n’est pas aussi spirituel ? ».

Autre projet qui est toujours exposé à la galerie Polka/Paris jusqu’au 6 juin 2021, Cavale. Une commande de 2019 de Laure Serani, directrice artistique du festival Planches Contact à Deauville. Carte blanche pour photographier la ville. « Pour moi c’est une ville de western. » C’est donc Cavale, l’histoire d’une femme libérée, avec le souvenir de Suzy Solidor, Marguerite Duras, d’une Mustang (celle du mythique film de Un homme et une femme, que Joël Lefèvre, a reconstruit à l’identique alors que l’originale avait brûlé. Claude Lelouch l’utilisera pour la suite de son film : Un homme une femme, vingt ans déjà), un braquage (petite référence à Jacques Mesrine et François Besse qui le 26 mai 1978 braquaient le casino,

Photo ©Nicolas Comment

un hôtel de luxe, une chambre d’hôtel, la ville, sa plage et ses planches… et dans la galerie, qui accompagne cette dérive et exposées comme des indices : le révolver, la valise, les gants, les chaussures…

La femelle du cheval en vieux français : la cavale. Comme toujours il y a des textes, courts, et quelques cinquante photographies.

« J’aime bien l’idée du hasard, des rencontres. J’ai toujours photographié mes copines… Mais ma femme (Milo McMullen) est très fictionnelle, je vis avec l’actrice du film de ma vie, elle ressemble un peu à Anna Karina. »

CAVALE – Photo ©Nicolas Comment

« Elle joue le jeu, la part de fiction que j’injecte, c’est elle aussi. Depuis 10 ans maintenant… », elle est l’égérie de ses photos, de ses clips…

Nicolas et sa femme Milo – Photo Photo ©Frédéric Lemaître

Nicolas Comment est partout. Une vie ne lui sera pas suffisante. Ce soir jeudi 13 mai à 21h, il sera sur la scène de La maison de la poésie à Paris pour présenter « Nouveau« . A voir en direct ou en replay sur la page YouTube de La maison de la poésie.

Puis le lendemain, il sera ailleurs, happé par un autre projet, une autre émotion, une autre rêverie…

Le temps de clore notre interview près de la galerie Polka, sous un soleil immense, lunettes noires, une cigarette se consume à ses lèvres  » Volutes partent en fumée « . La vie au dehors remue puis  » un sourire, un geste, il n’est déjà plus là... « .

SZAMANKA